Mostapha Bahri
Professeur, consultant économiste
Une simple visite du site « Khidmat al Mostahlik » nous renseigne sur le rôle des associations des consommateurs au Maroc : « le rôle de l’association de protection du consommateur est de conseiller le consommateur et de l’accompagner dans ses litiges de consommation ».
Ces missions sont-elles réellement exercées et sont-elles suffisantes pour protéger le consommateur ?
A rappeler que la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection des consommateurs, promulguée le 18 février 2011 permet au consommateur de bénéficier du droit à la représentation et du droit d’écoute.
De même, en cas de litige avec un fournisseur, le consommateur peut être représenté par une association de protection du consommateur pour le procès ou pour le règlement à l’amiable.
A l’étranger, ce droit d’écoute du consommateur date des années soixante. En effet, en 1962, dans un message sur l’état de l’Union, le Président Kennedy constatait que les consommateurs représentaient le groupe économique, à la fois le plus important et le moins écouté. Il a souhaité à cette occasion, d’établir une législation susceptible d’assurer le plein exercice de leurs droits : droit à la sécurité, d’être entendu, d’être informé, de choisir.
C’est aux États-Unis donc, que les consommateurs ont commencé à se regrouper pour défendre leurs intérêts. Ainsi est apparu le « consumérisme », auquel Ralph Nader devait donner, dans les années 1970, une vigoureuse impulsion.
Quelques années plus tard, les pays d’Europe occidentale, eux aussi, ont pris conscience des dangers courus par les consommateurs. Les années 70 et 80 ont vu l’éclosion et la multiplication, en France, comme dans les pays voisins, d’organismes de défense et de règles protectrices.
La tendance à la protection s’est accrue avec la création incessante, tant de formes d’incitation à l’achat que de nouvelles techniques de distribution. La concentration des distributeurs dont la dimension multinationale est désormais la règle a accentué le sentiment d’écrasement du consommateur fragile.
C’est certainement le développement de la publicité et notamment dans sa forme active, parfois agressive, tels le démarchage (porte-à-porte), la vente forcée (le fait de recevoir un objet, pas commandé et dont on réclame le paiement), etc., qui a rendu nécessaire une réglementation spécifique de la consommation.
À ces éléments s’ajoutent aujourd’hui, la complexité technique des produits vendus, leur obsolescence programmée, la dématérialisation des échanges et l’imagination des publicitaires ou communicants.
Et sans oublier, la multiplicité des contrats de fourniture de services, les abonnements téléphoniques, les contrats d’Internet, ainsi que le caractère transfrontalier du commerce électronique.
Au Maroc, les premières associations créées datent de la fin des années quatre-vingts et du début des années quatre-vingt-dix. Des associations mises en place sur la seule base du texte de novembre 1958, concernant la création d’association. C’est le texte de 2011 édictant des mesures de protection des consommateurs, promulguée le 18 février de la même (2011), qui a précisé les missions des associations des consommateurs.
L’analyse des données postées par le site Khidmat Al Mostahlik permet de mettre en relief la répartition inégale des associations de consommateurs sur le territoire nationale. Ainsi, nous avons relevé une forte concentration de ces associations dans le sud du pays comme la région de Souss-Massa avec le plus grand nombre d’associations, soit 20, pour un nombre d’habitants estimé à 2,896 millions (soit 8,05%). Cette région est suivie par Casa avec 12 associations, au moment où cette zone concentre 20,6% de la population selon les estimations de 2020 (HCP), soit 7,408 millions. Le tableau ci-après montre la répartition des associations et de la population par région.
A la répartition inégale des associations entre les régions, s’ajoute l’inégalité intra régionale. En effet, certaines provinces, et malgré leur importance, ne disposent d’aucune association de protection du consommateur, telles Taza, Ouazzane, Guercif, Ifrane, Sidi Slimane, etc. Il faut comprendre aussi que la vigueur des AC dans le Souss Massa est propre à la culture de cette région où les ONG réussissent mieux qu’ailleurs au Maroc. Une culture marquée par le sérieux, le peu d’opportunisme des acteurs et un patriotisme sans égal au service du consommateur.
Une bonne répartition des associations et avec plus de spécialisation dans des domaines précis et plus de dynamisme, serait de nature à permettre d’atteindre l’objectif recherché par les textes sur la protection du consommateur. Il s’agit en fait, de soutenir la partie considérée comme faible, face aux professionnels dont les moyens financiers, techniques, juridiques et de séduction ne font que s’accroître du fait de la multiplicité des formes de distribution et des techniques d’incitation à l’achat (marketing).
De même, avec les nouvelles technologies, qui en éloignant de plus en plus l’acheteur du vendeur et en dématérialisant les échanges, nécessitent plus que jamais un réel appui pour renforcer davantage l’action des services de contrôle, dont les moyens tant humains que matériels demeurent limités par rapport aux attentes des citoyens.
A rappeler que le déséquilibre entre vendeur et acheteur a toujours existé. Les consommateurs sont souvent en situation de faiblesse. Ils tendent parfois à devenir de simples objets manipulés. Ils sont à la fois les rois, mais souvent, les esclaves de cette société de consommation.
Ainsi, il est apparu indispensable dès les années quatre-vingt-dix de mettre en place un dispositif juridique de nature à protéger les consommateurs contre les malhonnêtetés et les abus de puissance économique, dont les agissements ne sont pas perçus par l’opinion publique.
Ce n’est qu’en 2011 que la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection des consommateurs, a vu le jour. Son décret d’application n’a été publié que le 11 septembre 2013. Ce dispositif, en plus des arrêtés publiés par la suite, a mis en place la plupart des règles de nature à protéger le consommateur.
En principe, cette loi permet au consommateur de bénéficier du droit à la représentation et du droit d’écoute.
De même, les associations de protection du consommateur assurent l’information, la défense et la promotion des intérêts du consommateur et concourent au respect des dispositions de la loi.
Qu’en est-il de l’action de nos associations de consommateurs ?
Sont-elles au diapason des attentes des citoyens ?
Leurs actions constituent-elles un réel poids face aux distributeurs (producteurs, importateurs, distributeurs, prestataires de services, etc.)
L’analyse et le suivi des actions de ces associations montrent la limite de leurs actions. Dans cette tribune du consommateur, Rachid Hamimaz, un des auteurs d’articles sur les farines et les produits alimentaires importés, s’interrogeait sur le mutisme des associations de consommateurs et leur léthargie troublante.
Pourquoi ?
La plupart du travail réalisé a été fait sur la base des requêtes envoyées par les consommateurs lésés.
Les dénouements proposés par ces associations, lorsque que cela est possible, se basent sur des solutions à l’amiable, avec l’appui des services de contrôle.
Une question mérite d’être posée.
Est-ce que tous les consommateurs portent plainte et sont au courant des possibilités proposées aussi bien par le département de tutelle de la loi (Département du Commerce et de l’industrie) que par les associations de consommateurs qui ne couvrent pas la totalité du territoire, (dont le nombre de guichet du consommateur est très limité), du fait de l’existence de provinces dépourvues de ce genre d’association ?
En outre, bon nombre de consommateurs marocains ne connaissent même pas l’existence de ces associations, en raison de la limite des actions menées sur le terrain et au niveau des médias. Pourquoi depuis plus de trente ans que ces associations existent, ne sont-elles pas parvenues à avoir une revue digne de ce nom comme en France, « Que choisir » ou « 60 millions de consommateurs » ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’émissions sur la télévision marocaine à l’instar d’autres pays, même africains, tel à titre d’exemple la Guinée Conakry au niveau de laquelle une association est passée à la télévision pour discuter des hausses des prix ? C’est troublant et honteux vu la place économique du Maroc en méditerranée.
Le vrai travail que doit effectuer toute association digne de ce nom est de mener des actions proactives et non pas attendre les requêtes pour essayer de réagir. La requête peut parfois déclencher des enquêtes approfondies.
Dans ce cadre, il y a lieu de citer le communiqué d’une association dans un pays voisin « l’organisation algérienne de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement », qui a annoncé le 13 février 2019, que tous les cafés que consomment les algériens ne sont pas conformes aux normes et peuvent même constituer des risques pour la santé des citoyens algériens. Le président de l’association a publié sur sa page Facebook les résultats des analyses effectués par un laboratoire national et un autre étranger sur un échantillon de 17 marques de cafés vendues sur le marché. Il en ressort en effet que cinq marques, qu’il n’a pas citées, ne sont pas conformes aux normes et donc sont forcément nocives pour la santé, du fait qu’elles contiennent entre autres, un taux de sucre nettement supérieur aux normes requises. Ce travail associatif dynamique dans notre pays frère l’Algérie, a permis de parvenir à des résultats auxquels aucune des 97 associations marocaines du consommateur n’est parvenue en 30 ans.
Ce communiqué algérien a amené certains producteurs de ces cafés impropres à la consommation à essayer de déjouer le contrôle en retirant leurs produits du marché alors que d’autres ont cru bon de changer les caractéristiques des étiquetages pour cacher les anomalies[1].
Les associations marocaines de protection du consommateur, prennent-elles l’initiative de mener des investigations pour s’assurer de la qualité des produits. Ces associations n’ont pas réagi malgré la publication de plusieurs articles par la Nouvelle Tribune (tribune du consommateur) incriminant certains produits alimentaires très consommés par les marocains. Une association qui veut bien jouer son vrai rôle devrait en principe mener régulièrement des recherches, faire des analyses des produits suspects et prendre contacts aussi bien avec les services concernés, voire avec les entreprises, pour attirer leur attention sur les dangers potentiels auxquels sont exposés les citoyens, en raison de la consommation de certains produits.
Les entreprises doivent comprendre qu’il existe en plus des services de contrôle, des ONG qui sont au service du consommateur pour l’orienter, l’assister et le protéger contre les personnes malhonnêtes qui mettent en péril la santé de la population.
Nos associations avancent toujours le manque de moyens tant financiers qu’humains pour pouvoir travailler. Là aussi, il n’existe aucune action proactive menée par ces associations pour mobiliser des fonds tant au niveau national qu’international. Ils attendent toujours l’aide de l’État et particulièrement la mise en place du fonds national pour la protection du consommateur et sa mise en œuvre.
Sous d’autres cieux, les associations diffusent des publications qui leur rapportent de l’argent, avec des publicités bien ciblées concernant les événements culturels et sportifs et les livres. Les consommateurs voyant le rôle important joué par ces associations, participent à travers l’achat de ces publications et font des dons pour qu’elles maintiennent leurs activités. Lorsqu’on n’a pas les moyens, il faut déployer un savoir-faire pour trouver ces moyens. Des ONG de développement performantes étaient complétement dépourvues de moyens au tout début de leurs activités. Ils ont développé une intelligence qui leur a permis de lever des fonds et de devenir des ONG réputées.
Le temps de l’assistanat est révolu, et il importe aux associations de comprendre ce que le consommateur marocain attend d’elles et qu’une association ne fonctionne qu’avec des personnes engagées pour le bien des citoyens et de l’économie saine du pays et dans le cadre d’une bonne gouvernance.
Questions aux associations de consommateurs
- Si votre présence sur le marché est quasi-inexistence, excepté quelques actions conjoncturelles et de courtes sorties médiatiques sans panache, pourquoi alors avoir créé des associations de consommateur dans les années 80 et 90 ? Est-ce pour la simple présence sur l’échiquier social et politique et dans la perspective de bénéficier de la subvention de l’état ? Si c’est le cas, elle n’est pas conséquente. Est-ce pour utiliser ces associations comme tremplin pour réaliser certaines ambitions politiques ? Le citoyen marocain aimerait savoir !
- Nous avons relevé que plusieurs régions étaient bien représentées à l’instar du Souss-Massa. Il a été constaté également l’existence de deux fédérations au Maroc. A-t-on besoin de deux structures sur le territoire national ? Quel rôle doit jouer une fédération, si ce n’est d’abord de fédérer toutes les associations dans l’intérêt du consommateur et du seul consommateur ? Quelles sont les actions locales que ces associations ont menées ? Aucune couverture médiatique, n’a mis en évidence, le type d’actions que vous mettez en œuvre à l’échelle locale ? Il y a pourtant une couverture médiatique pour mettre en évidence les actions autrement plus efficaces de certaines ONG de développement local ! Que faites-vous réellement au niveau local ? Nous avons cité l’exemple de pays comme l’Algérie et la Guinée ou certaines associations brillent par leur dynamisme pendant que vous autres vous brillez par votre absence !
- Pourquoi l’État ne met-il pas en œuvre une véritable politique consumériste, comme dans les pays développés, en prévoyant une place, un rôle effectif et des soutiens réels pour les associations dynamiques. Mais comment avoir une vraie politique cohérente lorsqu’on sait que le contrôle de la qualité et la protection du consommateur sont éclatées entre plusieurs institutions, notamment le ministère du commerce d’un côté, d’autres départements et l’organisme national de sécurité sanitaire des produits alimentaires de l’autre ?
Conseils aux consommateurs
- Les réseaux sociaux offrent une grande opportunité pour dénoncer des pratiques qui sont de nature à léser le consommateur ou pour aviser les gens sur l’éventuelle commercialisation de certains produits impropres à la consommation, qui risquent de porter atteinte à sa santé. Il serait judicieux de se partager honnêtement l’information, et avec responsabilité, dans un environnement qui brille par l’absence d’associations sensées défendre les intérêts du consommateur.
- Ne pouvant compter sur un rôle effectif des associations de consommateurs dans notre pays, il faut se tourner vers les pays développés et notamment la France. Un proverbe dit : « lorsque ta maison est vide, va voir celle du voisin ». Le consommateur pourrait par exemple consulter sur site électronique les revues françaises « Que choisir » de l’Union Fédérale des Consommateurs ou « 60 millions de consommateurs » de l’Institut National de la Consommation qui traitent de préoccupations qu’il est possible de retrouver au Maroc. Ces revues font des tests comparatifs, mènent des analyses en laboratoire, analysent très sérieusement les produits et rédigent des articles de très grande qualité. Certes, il y a des sujets spécifiques au Maroc, mais en attendant qu’il y ait une structure consumériste solide, on peut se documenter et trouver, dans ces revues et ces sites, des informations fortes utiles.