Une cliente d'un centre commercial de Joahnnesburg, le 20 mars 2020 © AFP Luca Sola
« Quelle Afrique en post Covid-19 ? » était le thème d’un webinaire récemment organisé conjointement par l’Institut Amadeus et l’ESCA Ecole de Management.
Intervenant à cette occasion, Mankeur Ndiaye, Représentant spécial du Secrétaire général pour la République centrafricaine, a affirmé que l’Afrique reste le continent le moins affecté par le nouveau coronavirus. Cependant, cette pandémie a créé beaucoup de désagréments, notamment la restriction de circuler entre les pays impactant l’approvisionnement. Pour M. Ndiaye, la Covid-19 est une occasion pour un repositionnement stratégique de l’Afrique.
De son côté, Yacine Fal, directrice générale adjointe de la BAD a souligné que les mesures strictes qui ont été prises assez tôt par les pays africains ont, jusqu’à preuve du contraire, bien fonctionné et qu’aujourd’hui le défi consiste à consolider ces mesures sanitaires.
« Notre continent est résilient parce que nous avons beaucoup plus l’habitude que d’autres régions du monde, de subir des catastrophes et d’y faire face. Il n’y a pas si longtemps que nous sommes sortis de la crise d’Ebola, durant laquelle nous avons été confrontés à la faiblesse de nos structures médicales, aux difficultés de pouvoir protéger un large spectre de la population, etc. » a précisé Mme Fal, tout en rappelant que RAM était la seule compagnie qui avait continué à desservir les pays touchés par Ebola.
Pour Mme Fal, il est important de renforcer et d’accélérer les innovations à savoir la transition numérique, le paiement mobile et des solutions locales et adaptée pour répondre à ces crises soudaines.
« On a su tirer parti de nos innovations, de notre inventivité. J’espère qu’au niveau de nos structures gouvernementales, de nos économies et de nos stratégies, on saura intégrer cette inventivité de manière plus organisée et structurelle, pour arriver à construire des économies plus solides de manière intrinsèque pour faire face aux situations où on ne pourra pas compter sur l’assistance de nos partenaires habituels », a-t-elle affirmé.
Francis- José N’Guessan, Directeur adjoint du centre ivoirien des recherches économiques et sociales, a énuméré deux problématiques da la gestion de cette crise sanitaire en Afrique, dont la première est le manque d’anticipation. Pour M. N’Guessan, l’union africaine n’a pas été très présente sur ce sujet. « Peut-être dans un réflexe habituel nous somme restés dans l’imitation de ce qui se fait dans les pays occidentaux. Nous avons voulu voir ce qui se passait chez eux pour suivre. Même si la pandémie ne se présente pas dans notre continent avec acuité, nous aurions dû anticiper ce qu’il allait arriver », s’est-il désolé.
La deuxième raison, pour M. N’Guessan, ce sont les gouvernements qui sont habitués à toujours attendre que les solutions viennent de l’Europe. « Nous avons attendu que l’Europe se réunisse, qu’elle tire la sonnette d’alarme et prenne des mesures, pour faire pareil. C’est l’une des faiblesses de la gouvernance de certains pays africains », s’est indigné Francis- José N’Guessan.
Ce dernier a énuméré plusieurs leçons de l’évolution de cette épidémie. Sur le plan sanitaire, cette pandémie a permis aux africains de constater que les maladies et les épidémies influencent l’économie. « Nous sommes habitués au SIDA, au paludisme, etc. Ce sont des maladies qui n’affectent pas immédiatement les économies parce qu’on peut vivre avec. Mais là, avec les mesures de restrictions mises en place, nous avons senti l’impact immédiat sur l’économie et sur les populations. Il y a cependant quelques acquis, notamment au niveau sanitaire, comme les gestes barrières, un nouveau comportement vis-à-vis de l’hygiène, etc. Ce que nous pouvons gagner de cette pandémie, c’est cette possibilité de discipliner un peu l’Africain, afin d’avoir des comportements favorables aux mesures de prévention contre les maladies », a déclaré M. N’Guessan.
Sur le plan économique, cette crise sanitaire a démontré qu’à n’importe quel moment, un choc peut infecter nos économies, et qu’il est important de mettre en place des mesures de sauvegarde basées sur l’anticipation de l’évolution des maladies.
Au niveau de la recherche, « le coronavirus a démontré qu’il peut arriver que les occidentaux soient dans des situations où ils ne peuvent pas réagir face à des pandémies, et qu’ils ne peuvent pas toujours apporter des solutions », a affirmé M. N’Guessan.
Pour ce dernier, si l’Afrique veut tirer profit de cette pandémie, il faudra être en mesure de mettre des dispositifs en place, pour anticiper sur le plan national comme sur le plan régional, et laisser la place à la recherche pour une Afrique plus responsable qui compte sur elle-même.
Quelles leçons tirer de cette crise sanitaire ?
De son côté, Thami Ghorfi, Président de l’Esca Ecole de management, a mis l’accent sur les relations internationales au temps de la Covid-19, qui ont beaucoup changé et tendent vers le chacun pour soi plutôt qu’une vraie coopération internationale. « Ce manque de coopération internationale est visible dans la course aux médicaments, au vaccin, etc. », a-t-il précisé. Pour lui, il faut tirer des leçons de cette situation internationale, où chacun des puissants de ce monde « tire la couverture vers lui » et « revenir à nos racines pour sauver nos populations ».
« Un des premiers leviers de cette Afrique Post Covid-19, c’est que pendant que le monde se désunit, nous devrions chercher à nous unir », a affirmé M. Ghorfi.
Pour lui, si l’Afrique a résisté à cette pandémie, c’est grâce à trois éléments : une capacité de conscientisation de la menace parmi les populations, la jeunesse du continent, et le fait que l’Afrique est le continent le moins ouvert au Monde et qui attire moins de gens de l’international, avec une population qui ne bouge pas beaucoup à l’échelle mondiale.
Pour l’après Covid-19, M. Ghorfi explique qu’il faut se dédouaner du formel et de l’informel, parce que le plus important aujourd’hui, c’est de pouvoir recréer de la richesse pour pouvoir répondre aux besoins sociaux de la population.
« Les chaines d’approvisionnement des régions africaines doivent être renforcées et doivent développer une capacité régionale au-delà des chaines mondiales que nous subissons, et qui ont fait que nous avons eu des ruptures durant cette crise », a-t-il affirmé. Et de conclure : « Il y a aujourd’hui une nécessité absolue d’accélérer la zone de libre-échange au niveau continental ».
Moubarak Lo, économiste, ancien conseiller spécial du premier ministre du Sénégal a de son côté déclaré que ces trois derniers mois on enregistre partout fans le monde un recul de l’activité économique. Pour lui, tous les indices de conjonctures qui seront publiés au second trimestre 2020 vont être mauvais au niveau mondial et l’Afrique ne fera pas exception. « Tous les pays africains vont connaitre une contraction de l’activité parce que pratiquement toute l’économie est à l’arrêt. », a-t-il précisé, restant cependant optimiste pour le reste de l’année. « Aujourd’hui, la plupart des pays sont en train d’organiser un déconfinement. Ce dernier n’est pas synonyme d’une relance forte de l’activité, mais ça permettra au moins de réduire la casse », a-t-il souligné. Pour M. Lo, il y aura une reprise qui ne sera pas au rythme potentiel de l’économie, cependant tous les pays africains devraient pouvoir au moins avoir le tiers de ce qu’ils avaient d’habitude.
Pour lui, dans un contexte où la demande mondiale est en baisse, la Chine étant en difficulté ainsi que les pays occidentaux, le commerce intra africain devrait être développé davantage. « Le commerce intra africain devrait pouvoir amortir un peu les difficultés au niveau international », a-t-il précisé. M. Lo estime que l’année 2021 devrait être l’année du rebond où la croissance devrait être très forte, quelle que soit l’évolution du virus.
Asmaa Loudni