Source : AFP
L’avènement de la crise du Covid-19 est allé de pair avec le déferlement de bon nombre de scénarios liés à la théorie de la conspiration. Toutes ces théories, par occasions farfelues, pointent du doigt des systèmes, des oligarchies, des élites et des lobbies internationaux qui tireraient profit de la propagation de la pandémie. La prudence est de mise : il est certes difficile de démêler le vrai du faux dans les théories complotistes, il est, cependant, de notre droit et devoir de méditer les thèses stipulées par ces diatribes afin d’essayer de mieux les cerner et d’en mesurer le degré et l’étendue de crédibilité.
Certaines de ces théories font du coronavirus un chapitre du conflit entre la Chine et les États-Unis, vu que la stratégie militaire à long terme repose sur le développement d’armes biologiques. D’autres thèses font du coronavirus un instrument du black-out qui a servi à camoufler et contrecarrer les manifestations populaires qui enflammaient la Chine et qui furent en effet délicatement mises en quarantaine en vertu de la loi du confinement. En contrepartie, une autre théorie montre du doigt le camp adverse de la Chine, stipulant que le Covid-19 serait une manoeuvre du président américain pour reconquérir la position des États-Unis dans la pyramide du pouvoir politique et économique mondial et recharger son solde de popularité en vue d’entamer la campagne électorale qui le mènerait à son second mandat. D’autres allégations placent la responsabilité dans le camp des grandes institutions bancaires internationales et richissimes oligarchies telles que Gates, les Rothschilds, les Rockefellers et autres qui convoiteraient davantage de richesses via l’implémentation d’un plan diabolique visant à contrôler le monde à travers la restriction des libertés et la surveillance de la vie privée sous prétexte de l’intérêt public général et la prévention contre le coronavirus. Chose qui est en train de se produire en quelque sorte à l’heure actuelle d’une façon tout aussi progressive qu’efficace. L’une des théories qui ont suscité un vaste intérêt dans le monde et celle qui fait de l’émergente technologie 5G le principal déclencheur de la propagation du covid-19. Popularisée par un certain docteur américain sur YouTube vers la mi-mars, la 5G aurait déstabilisé le champ électromagnétique terrestre provoquant ainsi l’empoisonnement et l’infection du corps humain. Dès lors, il fut bien entendu facile d’établir que la première ville à être complètement ouverte à la 5G était Wuhan; ce fut l’argument idéal pour établir la corrélation entre la propagation cartographique du coronavirus et le déploiement de la 5G.
Il existe une autre théorie qui place les chercheurs et les lobbyistes de l’industrie et laboratoires pharmaceutiques correspondants derrière l’aggravation de la situation mondiale actuelle pour enchérir sur les médicaments attendus et les vendre à des valeurs faramineuses. Il y a aussi la théorie du génocide méthodique des catégories d’âge, d’ethnie, de race et de croyance indésirables sous prétexte de la réduction de la densité de la population mondiale et de la protection de l’environnement. Cette dernière allégation a été liée récemment au nom de Bill Gates qui s’est engagé dans le financement de recherches prometteuses dans le domaine de l’invention du vaccin attendu et qui a déclaré que la maladie est la clé pour diminuer la densité de la population mondiale. La déclaration du magnat de la technologie informatique fut grossièrement sujette à extrapolation, et utilisée hors de son contexte à mauvais escient dans le but de l’adapter aux théories complotistes conçues autour du virus.
Dans ce contexte, le dernier chapitre des théories complotistes consiste en ce qui fait aujourd’hui le chou gras des plateformes médiatiques et réseaux sociaux concernant la responsabilité présumée de Bill Gates dans la propagation de la pandémie pour justifier l’idée du puçage ou l’implantation de la fameuse micropuce ID2020 : les vaccinés seraient sommés de se faire injecter une puce numérique sous-cutanée.
L’argument de la salubrité semble justifier, à priori, les intentions philanthropiques de ce dessein. Car la micropuce aurait des vertus régénératrices permettant de reprogrammer des cellules spécifiques du corps humain à remplir les fonctions des cellules endommagées afin que l’organisme puisse se guérir spontanément et créer un réseau nerveux renouvelable. Une vision qui représente un rebond de taille dans le domaine de la médecine régénérative qui n’est encore qu’un espoir, car elle vise à vaincre les maladies en stimulant le cerveau et les cellules à produire les antibiotiques nécessaires à la détection précoce des maladies et à la stimulation du système immunitaire. On peut dire, au vu des ambitions de l’extraordinaire puce et des marges de faisabilité ouvertes devant un tel projet, que l’humanité est sur le seuil d’un nouveau système mondial qui serait peuplé de corps et d’esprits sains sans maladies. L’on se croirait dans un film de science-fiction ! Logiquement donc, si la puce magique vise à inciter le cerveau à donner spontanément l’ordre de reprogrammer les cellules altérées et à préserver le fonctionnement des fonctions de l’organisme, elle devrait être en mesure de permettre de contrôler l’hormone de la croissance qui se détériore avec le vieillissement. Les masses humaines seraient alors progressivement transformées en cyborgs, avec des capacités similaires concernant la structure physique et l’aptitude au travail et à la production. La menstruation des femmes pourrait être éventuellement retardée, voire même définitivement oblitérée; ce qui pourrait également accroitre le taux de la procréation en dehors du concept de la maladie, du handicap et autres erreurs d’appréciation biologique et psychologique prénatales. Qui sait… l’imagination et la science n’ont pas de rênes…! Signalons au passage que cette vision implique une contradiction avec les théories conspiratrices génocidaires qui supposent comme postulat le virus contre la réduction de la population mondiale et des dégâts infligés à l’environnement.
Or, selon la thèse complotiste du puçage, l’argument de la salubrité ne serait qu’une mascarade. Le sombre dessein prend des dimensions extrêmement graves qui donnent la chair de poule et frisent la terreur dans les aspects liés à l’intrusion dans la vie privée, au contrôle des libertés individuelles et à l’émission par satellites d’ondes et de fréquences visant à contrôler le comportement humain et à l’inciter à commettre des actes involontaires.
L’on se croirait dans un thriller d’espionnage cette fois. Une vision qui mènerait l’humanité vers un nouveau système universel où les dieux de la technologie numérique régneraient en maîtres absolus. Reposant sur la prémisse du contrôle totale des données personnelles liées aux individus par le biais de satellites, le projet est plus que réalisable sur le terrain si l’on considère les impressionnants exploits de l’industrie numérique et des nanotechnologies dans le domaine de la recherche scientifique et du développement technologique. L’idée n’est pas du tout nouvelle en fait, puisqu’elle est déjà partiellement appliquée et pratiquée dans divers pays et villes du monde où les gens se font de plus en plus injecter des puces dans le corps à des prix insignifiants. Jusqu’à présent ces micropuces se réduisent à des données d’identification personnelle relatives aux comptes bancaires et aux mots de passe.
La nouvelle micropuce, dit-on, rendrait possible la réception par satellites de fréquences qui permettraient le contrôle des actions des individus. Le voilà l’objet final de la machiavélique machination. Quel intérêt pourrait avoir une société saine de corps, mais domestiquée et manipulée sur le plan intellectuel et sensoriel ? Le principe de l’altérité intellectuelle dissidente sera à jamais banni de nos sociétés, et la puce réaliserait ce que les systèmes dictatoriaux n’ont jamais pu accomplir puisque l’histoire prouve que ces systèmes parviennent à vivre pendant une période de temps, mais finissent toujours par disparaître de façon totale ou partielle grâce aux manœuvres de l’idéologie et l’action de la résistance et de l’opposition. Lorsqu’on pense à ces horribles desseins en les comparant avec ce qui se passe actuellement en termes de restriction progressive des libertés et l’exploitation des conditions du confinement pour adopter et ratifier des lois (ladite «loi bavette» 22.20 en est un petit exemple), on ne peut que s’inquiéter sérieusement, réfléchir et ouvrir les yeux sur les méandres de ce qui se trame. Imaginons, ne serait-ce qu’un bref instant, des agglomérations humaines dépossédées de volonté et contrôlées à distance. Imaginons les sociétés sans la pensée des philosophes et des intellectuels. Imaginons des sociétés sans la dialectique de l’idéologie dissidente et sans l’action des syndicats. Imaginons des sociétés exemptes des punchs de la littérature engagée dans le corps de la conscience des systèmes et des gens. La question est vraiment effrayante et prête sérieusement à réflexion.
Comme j’ai dit au début du présent papier, on ne peut pas trancher, preuves à l’appui, de la fiabilité des diatribes complotistes. Il est certain qu’elles créent une sorte de paranoïa chez les destinataires intéressés, car l’objectif de leur propagande est de priver l’individu de la capacité de critiquer et d’analyser. La théorie conspirationniste a pour ambition de prouver qu’elle est réelle et de pousser vers les conclusions hâtives au lieu d’induire à poser les bonnes questions pour examiner les vérités et en retracer les sources. N’oublions pas, par ailleurs, que dans le monde de la conspiration le démenti en soi peut être considéré comme une trace de l’existence du complot lui-même et fait du camouflage de la réalité un outil et un instrument de contrôle et de manipulation. Si le nouveau concept de la puce en arrive à s’incruster dans la peau, les hommes deviendraient des momies, des marionnettes gérables à distance, des cyborgs avec une structure physique saine, mais d’une volonté, d’une liberté et d’un intellect ravis. Ils se déplaceraient comme des spectres à une ère où le «je pense, donc j’existe » du cogito cartésien cèderait grossièrement place à la nouvelle devise : «je suis sain, donc j’exécute ».
Younès Gnaoui