La question revient régulièrement auprès des autorités et des géants des technologies: ne dispose-t-on pas d'outils informatiques d'analyse des données qui pourraient nous permettre de mieux anticiper, gérer et contrer la pandémie de coronavirus? © AFP/Archives CARL DE SOUZA
La question revient régulièrement auprès des autorités et des géants des technologies: ne dispose-t-on pas d’outils informatiques d’analyse des données qui pourraient nous permettre de mieux anticiper, gérer et contrer la pandémie de coronavirus?
Le 30 décembre dernier, des chercheurs donnaient l’alarme. Grâce à des algorithmes qui scannent le web, ils avaient identifié des cas de pneumonie inhabituelle à proximité d’un marché de Wuhan, dans le centre de la Chine.
Mais il a fallu plusieurs jours avant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne publie une évaluation des risques. Et un mois entier avant qu’elle ne déclare une urgence de santé publique de portée internationale.
« Le pouvoir de ces outils existe, mais nous n’avons pas encore vraiment trouvé comment l’exploiter », constate Michael Greeley, cofondateur de Flare Capital Partners, qui investit notamment dans les technologies de santé.
Les outils d’intelligence artificielle carburent aux données. Ils peuvent passer au peigne fin des textes, des chiffres, des sites internet et des images, et établir des corrélations invisibles à l’oeil humain.
Plusieurs sociétés ont ainsi vu des signes indiquant une anomalie fin décembre.
Dataminr, spécialisée dans la détection des risques en temps réel, avait fait le rapprochement entre des témoignages d’habitants de Wuhan sur les réseaux sociaux, des images de désinfection du marché aux poissons de la ville et un avertissement d’un médecin qui est mort plus tard du coronavirus.
BlueDot, au Canada, avait aussi repéré le problème sanitaire grâce à un algorithme passant en revue des centaines de milliers d’articles de presse chaque jour et des données du trafic aérien.
« Les données faisaient écho à l’épidémie de SARS d’il y a 17 ans, mais nous ne savions pas à quel point ce virus serait contagieux », explique à l’AFP Kamran Khan, fondateur de BlueDot, une start-up canadienne spécialisée dans l’intelligence artificielle (IA).
« Nous avons tendance à adopter une posture de réaction dans ces situations, c’est la nature humaine », ajoute ce professeur de santé publique à l’université de Toronto.
– Surveillance –
Les autorités peuvent utiliser l’IA pour identifier les signaux en amont, suivre la propagation du virus et ainsi anticiper les besoins des hôpitaux, analyser les études et statistiques disponibles et accélérer la recherche de traitements et d’un éventuel vaccin.
Encore faut-il disposer des bonnes données, en quantité suffisante, et accessibles en temps réel.
Les informations personnelles publiques, et surtout privées, représentent ainsi une manne de ressources à exploiter en cas d’épidémie. Mais leur confidentialité est protégée par la loi.
« En Chine, comme ils ont moins de contraintes, ils se sont beaucoup appuyés sur la géolocalisation des personnes (via les smartphones) et leur système de surveillance. C’est plus compliqué en démocratie », remarque Andrew Kress, le fondateur de HealthVerity, une société spécialisée dans les technologies d’extraction de données médicales.
« Nous connaissons l’âge, le genre, la zone géographique et certains événements, comme un achat de sirop contre la toux ou un diagnostic pour une infection respiratoire », détaille-t-il.
« En théorie, on pourrait relier ces événements à l’activité en ligne, mais la personne deviendrait rapidement identifiable. Il y a un équilibre à trouver entre l’utilité (des infos) et la protection de la vie privée », estime-t-il.
Dans la phase actuelle de confinement, des sociétés aident les gouvernements à suivre la progression de la maladie et à vérifier que la population applique les consignes de « distanciation sociale ».
BlueDot se sert notamment des données « anonymisées » de géolocalisation de « près de 400 millions de smartphones ».
Les algorithmes sont aussi mis à contribution dans la recherche médicale.
La semaine dernière, des chercheurs et entreprises ont rassemblé plus de 29.000 publications scientifiques sur le Covid-19.
La Maison Blanche a appelé les volontaires à en extraire rapidement des informations concrètes, grâce à des outils fournis par Kaggle, une plateforme de « machine learning » (apprentissage des machines) appartenant à Google.
Côté traitements, « l’IA permet de mener des simulations et de comprendre les évolutions biologiques comme jamais auparavant », s’enthousiasme Michael Greeley.
Plus la peine de tester manuellement, une par une, les réactions du virus. « On prend des millions d’échantillons et la machine identifie une poignée de molécules susceptibles de fonctionner pour un vaccin, par exemple », continue-t-il.
Mais les phases de tests cliniques sur des patients sont elles, incompressibles, car elles déterminent si les médicaments sont sans risque pour les humains, et s’ils sont efficaces.
A moins d’un assouplissement des réglements. « Il y a une pression extraordinaire sur l’industrie pharmaceutique en ce moment pour utiliser certains outils qui ne sont peut-être pas encore totalement au point », tempère l’investisseur.
LNT avec Afp