M. Mohamed Benchaâboun
Depuis la présentation du PLF 2020, les commentaires et réactions à ses différentes mesures ont été nombreux, et les opérateurs économiques et financiers marocains ont largement fait part de leurs interrogations, voire de leurs inquiétudes.
C’est pourquoi devant la presse, M. Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des Finances, a tenu à apporter des éclaircissements sur le contexte général et la vision d’ensemble du PLF 2020, ainsi qu’à rassurer sur certains points précis qui comptent parmi les plus débattus. « Le PLF contient beaucoup de dispositions qui n’ont pas bien pu être comprises par l’environnement », explique-t-il. Et d’ajouter : « Pour comprendre la loi de finances, on est obligé d’aller au-delà, [de voir] ce qu’il y a derrière le rideau ».
Des efforts pour tous
D’emblée, M. le ministre rappelle la priorité donnée par le Roi Mohammed VI et le gouvernement aux mesures sociales, notamment dans la foulée du pacte social signé cette année. Et d’ajouter que l’augmentation du coût du social « dépasse celle des recettes, donc il y a un effort qui est fait, et qui doit se poursuivre », tout en admettant qu’il « reste la problématique de l’appréciation du service rendu au citoyen ».
Ainsi, insiste M. Benchaâboun, « les réformes ne doivent pas être réduites à la réduction de la fiscalité », et « si chaque secteur, pris séparément, propose des mesures pour l’augmentation de valeur, nous sommes partants ». De plus, et c’est un message adressé aux opérateurs économiques, il rappelle que « la réduction de l’IS n’est pas synonyme de hausse des investissements », que « tout le monde est d’accord sur l’équité fiscale, tant qu’il s’agit de baisser » et que « les requêtes de réduction ne permettent pas forcément au secteur de se développer ». Le ministre préfère donc évoquer « des mesures d’accompagnement pour tous gagner ». Il a pris pour exemple le port de Tanger-Med, qui n’a vu aucun investissement significatif malgré un taux d’IS réduit de 50%, jusqu’à la mise en place de vraies infrastructures.
Pour ce qui concerne la TVA des différents secteurs, le ministre insiste sur le fait que l’impact en termes monétaires sera faible selon les études du MEF.
Toujours au niveau fiscal, M. le ministre veut poursuivre l’un des objectifs mis en avant lors des Assises de la fiscalité, à savoir « simplifier la relation à l’administration de manière générale », à travers le remplacement de plusieurs impôts et taxes par la contribution professionnelle unifiée. « Nous voulions le faire dans cette loi de finances », selon M. Benchaâboun, « mais il fallait aussi toucher la loi sur la taxe locale ». Il annonce sa mise en place à partir du 1er janvier 2021.
Revenant sur les affaires des commerçants avec l’ICE, le ministre juge que « les gros commerces se sont cachés derrière les petits », alors que « les petits ne sont pas concernés ».
Un phénomène de société
De plus, le ministre rappelle que « quand vous avez 80% des contribuables qui ne sont pas conformes, il s’agit d’un phénomène de société, pas un problème de contrôle ». A cet égard, il rappelle les deux éléments de rupture qui sont prévus pour l’année prochaine : la mise en place de la nouvelle loi cadre, et l’entrée en vigueur de l’accord d’échange d’informations avec l’OCDE.
C’est également la raison pour laquelle certaines mesures ne sont pas présentes, selon le ministre. « Tout ne peux pas être mis dans la loi de finances », dit-il, citant l’exemple de la règlementation des changes, qui concerne aussi le fonctionnement de l’Office des changes et ses attributions.
Sur la question du change, le ministre a partagé ses ambitions : celle de supprimer la nécessité, et donc l’existence, de comptes à l’étranger pour les Marocains résidant dans le Royaume. En effet, il compte, d’ici la fin de l’année, « permettre aux Marocains d’avoir des comptes en devises ou en dirhams convertibles » à travers un système plus souple. Ainsi, un loyer versé depuis l’étranger pourra l’être sur un compte au Maroc en devises, qui lui-même pourra être ponctionné pour régler les factures à l’étranger.
Cela permettra, selon le ministre, de lutter contre des phénomènes comme la surfacturation, qui n’aurait plus de raison d’être avec la possibilité d’avoir un compte en devises. Cela permettrait également de stabiliser la réserve de changes. M. Benchaâboun espère donc « changer les comportements de la grande masse ».
Une dernière amnistie ?
Interrogé sur les déclarations libératoires, le ministre des Finances précise que « le PLF n’a pas prévu de recettes vis-à-vis de ces mesures ». Il s’agit surtout de « juguler le phénomène du cash en circulation à l’étranger ». « Une amnistie n’est pas juste », accorde-t-il, « mais ce qui se passe maintenant n’est pas juste non plus ». Toutefois, « l’adhésion des gens à cette démarche conditionne sa réussite ».
Et si les mesures semblables de 2014 n’ont pas eu d’effets autres que ponctuels, c’est parce que « on n’a pas changé les règles, donc cela n’allait pas changer les comportements ». Cette année représentera, selon le ministre, la première rupture dans la réglementation. Et pour ceux qui espèrent rester mauvais contribuables, M. Benchaâboun rappelle que « l’administration fiscale disposent d’outils de plus en plus performants, et le contrôle physique va être remplacé par la data ».
Sur le problème de la contentialité bancaire, le ministre, qui rappelle qu’au niveau des règles sur les fonds propres, le Maroc affiche « l’un des taux les plus importants au monde », sépare la question en deux volets : le structurel et le conjoncturel. M. Benchaâboun a pour projet de créer des fonds de restructuration et de soutien pour les difficultés conjoncturelles, et « d’encourager de façon structurelle ». L’Etat pourrait, en cas de difficulté, rentrer dans les fonds propres, pour en sortir sans intérêts au bout de 7 à 10 ans.
Le soutien plutôt que les incitations
Le Small Business Act poursuivrait son petit bonhomme de chemin. La première réalisation serait un portail, opérationnel avant la fin de l’année, qui regroupe toutes les informations nécessaires de manière didactique. Ensuite viendra le rapprochement institutionnel entre la CCG, l’ANPME et les CRI, accompagné du texte de loi. Cette idée de simplifier les programmes d’appui à l’entreprenariat est plus que nécessaire, puisque les cadres du MEF eux-mêmes admettent qu’ils ne connaissaient pas l’existence de certains de ces programmes ! Le Small Business Act consiste ainsi en un « processus d’évolution vers plus de transparence et de couverture du tissu d’entreprises, pour aboutir à des réformes constitutionnelles et pour clarifier, dans un seul endroit, l’ensemble des outils », selon le ministre.
En ce qui concerne le budget et les investissements infrastructurels de l’Etat, M. Benchaâboun rappelle qu’il « faut assurer les équilibres, qui font partie des obligations constitutionnelles ». Et vue la conjoncture actuelle, il faut soit réduire l’investissement, soit avoir recours à de nouveaux (parce qu’utilisés pour la première fois au Maroc) mécanismes comme ceux mis en avant dans le PLF 2020. Il s’agit, rappelons-le, de partenariats public-privé, où les projets seront financés par le privé, les institutionnels, ou encore les entreprises publiques. Une fois le projet réalisé, l’Etat en récupèrera l’exploitation, et paiera un loyer. Cela permettra, selon le ministre, aux investisseurs sur le long terme de trouver une rentabilité qu’ils peinent à atteindre avec les investissements actuels, avec en plus la confiance de traiter avec l’Etat. Cette année, 15% des investissements seront réalisés avec de tels schémas, pour un total de 12 MMDH. Un exemple est la signature récente pour la construction de 5 CHU pour 4,5 MMDH.
Concernant les avantages fiscaux accordés aux entreprises venant s’implanter au Maroc, qui vont tendre à disparaître, M. Benchaâboun rappelle que « la fiscalité, à l’international, n’est plus un avantage, car vous payez le complément dans votre pays ». Il rappelle également, à propos du cas spécifique de CFC, que « rien ne change pour ceux déjà installés, ou qui s’installeront en 2020 ». Et après, les suivants auront le droit à 5 ans d’exonération. Les premiers taux à 15% n’arriveront donc qu’à partir de 2026. Il rappelle aussi qu’il s’agit d’un taux unifié, les ventes locales étant jusqu’alors taxées à 31%. Il précise également que CFC sera exonérée de la taxe sur les produits des actions.
Les avantages fiscaux doivent évoluer vers un système de soutien social. Par exemple, il s’agirait de soutenir les acquéreurs de logements sociaux plutôt que d’accorder des exonérations aux promoteurs.
M. le ministre, interpellé sur la question de l’IR, déclare, avec regret, que « nous ne pouvons hélas par tout faire en même temps » pour la classe moyenne, notant toutefois une amélioration pour les fonctionnaires et les allocations familiales. La baisse de l’IR va arriver, promet-il, espérant qu’elle sera compensée par l’élargissement de l’assiette.
Les contrats-programmes vont aussi être revus, come cela est déjà le cas pour certaines entreprises. Par exemple, pour l’ONCF, l’Etat prendra en charge le rail, et l’office l’exploitation et l’investissement dans le roulant. Cela ne se fera pas avant 2022, et dans l’intervalle seront mis en place des mécanismes pour respecter les échéances.
Enfin, M. le ministre revient sur le très discuté article 9 et l’insaisissabilité des comptes de l’Etat, qui « existe dans toutes les démocraties ou presque ». Il explique qu’il s’agit de formaliser de manière plus stricte les dépenses de l’Etat, afin que les dépenses réalisées correspondent au budget signé par le Parlement. Si le budget prévu est dépassé, les dépenses venant de jugements rendus seront budgétisées, et réglées, l’année suivante. Selon M. Benchaâboun, il est essentiel de supprimer l’aléatoire des dépenses de l’Etat, notamment parce que les agences de rating sont très regardantes sur ce sujet.
Selim Benabdelkhalek