La publication récente d’un billet intitulé « pied gauche – pied droit », a eu beaucoup de succès auprès de nos lecteurs et nous a confortés dans notre conviction que l’islam n’interdit pas les digressions tant qu’elles restent dans le domaine de l’autodérision ou de l’interrogation sincère pour mieux nous habituer à accepter la contradiction, à refuser l’enfermement dogmatique et à respecter l’avis des autres.
Cela semble à première vue évident, mais ne correspond pas hélas à la réalité puisque les adeptes d’une certaine lecture très spécieuse du texte sacré ont réussi à brouiller l’image de l’islam avec les conséquences désastreuses que l’on sait.
Ils l’ont fait en promulguant notamment des avis tranchés sur les moindres détails de la vie quotidienne des musulmans en les classant en deux catégories : yajouz et layajouz (permis et interdit), faisant du Coran un simple code pénal.
Ainsi, après le casse-tête « pied droit-pied gauche », (voir La Nouvelle Tribune du jeudi 09 mai et https://lnt.ma/pied-droit-pied-gauche/), se pose celui de « main droite-main gauche » avec son lot de disputes et de controverses, comme s’il s’agissait d’une question importante touchant à la lettre et à l’esprit du texte sacré.
On peut toujours se consoler un peu et – égoïstement, il faut bien le confesser – en estimant qu’en tant qu’adeptes du rite malékite, nous sommes un peu mieux lotis que ceux des trois autres écoles exégétiques ( hanafite, hanbalite et shaféite ), puisque le nôtre est légèrement moins sévère dans son appréciation de l’utilisation de la main gauche…encore que !
Pensez que certains hadiths sont véritablement anxiogènes et culpabilisent jusqu’à l’insomnie, celui qui se sert de la main gauche pour manger par exemple.
Car ce faisant, il ignore tout bonnement le pauvre bougre, qu’il partage ses agapes avec le diable.
En effet, d’après Aïcha (Radhiya Allahou ‘Anha), et selon un hadith rapporté par l’imam Ahmed, le Prophète (ASWS) aurait dit :
« Quiconque mange de sa main gauche partage son repas avec Satan.»
Ainsi donc et sans chercher à couper les cheveux en quatre, on en conclut que tous les gauchers s’attablent quotidiennement avec le diable sans le savoir.
Et quand bien même se reprendraient-ils et changeaient de main, l’instinct reprendra forcément le dessus et la culpabilisation n’en sera que plus grave et le remords insurmontable.
Je me souviens d’un voisin qui avait carrément brûlé au fer rouge le haut de la main gauche de son enfant de six ans.
Pour beaucoup, la parole de l’imam passe avant le geste inné que ni la Faculté ni les psychologues ne sont arrivés à expliquer. Ce qu’on peut affirmer en revanche, c’est qu’on nait gaucher, mais qu’on devient stupide.
Certains imams, dans l’intention louable d’alléger la sentence privilégient cet autre hadith rapporté par Abou Daoud et qui stipule, toujours selon Aïcha (Radhiya Allahou ‘Anha) : « Le Prophète (ASWS) réservait sa main droite pour manger, boire et se vêtir. Il utilisait sa main gauche pour le reste. »
Que faudrait entendre par « le reste » ?
Le geste du chirurgien aurait-il moins d’importance à leurs yeux que celui d’enfiler une gandoura ou d’avaler un verre de thé ?
Sans être irrévérencieux et dans le seul souci d’enrichir le champ de nos connaissances et de mieux comprendre le message coranique, il me semble utile de connaître les raisons de ces restrictions.
Nos savants théologiens devraient pouvoir nous expliquer pourquoi on impose l’usage de la main droite pour seulement trois actions et pas quatre ou cinq : manger, boire et se vêtir, laissant croire que nos autres gestes quotidiens auraient moins d’importance dans l’échelle des transmetteurs des paroles du Prophète (ASWS).
Est-ce à dire qu’un gaucher ne peut exercer le métier de dentiste, menuisier, tailleur, cuisinier, cordonnier, prescripteur d’amulettes, etc…,sans encourir les foudres des imams rigoristes et tatillons ?
Auquel cas on tomberait dans l’absurde.
Peut-être ne le sait-on pas, mais ces nouveaux imprécateurs ont fait main basse sur la quasi-totalité des lieux de prière dans lesquels ils prêchent ce genre de fadaises qui déforment dangereusement l’esprit du texte sacré, voire même la pensée du Prophète (ASWS) lui-même.
Ils ne vous diront jamais par exemple que l’un de Ses compagnons les plus chers, Umar Ibn al-Khattâb, [radia Allâhou ‘anhou], écrivait de la main gauche. Ou peut-être ne le savent-ils même pas ?
Que je sache, Son célèbre compagnon ne se fit jamais gourmander parce qu’il était gaucher.
Bien au contraire, il était l’un de Ses compagnons les plus proches.
Cela devrait suffire à nous interroger sur les interprétations plus que tendancieuses de ces nouveaux imprécateurs qui sèment la confusion et le doute avec leur catalogue de « Yajouz – layajouz » qui ne cesse de s’enrichir de jour en jour leur procurant ainsi à bon compte, l’illusion de participer au progrès en légiférant sur ce qu’ils n’ont pas su inventer et pour lesquels ils s’en remettent à la compétence des Kouffars.
Et encore une fois, est-ce si important que cela, ces histoires de main droite et main gauche ; pied droit et pied gauche, quotidiennement mises en avant au point de servir de trébuchet entre les mains de nos nouveaux inquisiteurs pour hiérarchiser la foi ?
Un dernier mot enfin : est-ce qu’on sait que le meilleur footballeur musulman et l’un des meilleurs au monde actuellement, est un homme pieux et très respecté pour son jeu et pour sa conduite de tous les jours, qu’il s’appelle Mohamed Saleh, qu’il est …gaucher et qu’il fait la fierté du pays de l’université d’Al Azhar ; haut lieu de l’exégèse islamique s’il en est.
Ironie du hasard ou jugement sélectif ? La question est posée.
Saad Khiari
Cinéaste-auteur