Crédits : Rania Bouzoubaa/LNT
Comme chacun sait, un hadith c’est le contenu des paroles du Prophète (asws) rapporté par une chaîne de transmetteurs. Leur authenticité peut parfois poser problème quand on se rend compte que le temps peut altérer la mémoire et que la chaîne de transmetteurs peut être rompue pour diverses raisons. Sans oublier que la validation de son authenticité dépend du niveau de compétence et de crédibilité des spécialistes de l’islam. Ainsi certains hadiths sont-ils incontestés lorsqu’ils ont reçu l’imprimatur de grands spécialistes comme Muslim ou Al Boukhari. D’autres le sont moins ou même jugés parfois apocryphes. D’où les controverses nombreuses et inévitables lorsque l’exégète n’a d’autre ressource que le recours aux hadiths, faute de disposer de versets ad hoc du Coran.
Et c’est là où les choses commencent à se corser.
Ainsi l’autre jour, grande discussion animée entre jeunes et moins jeunes à la sortie de la prière du vendredi, et comme dans de pareils cas, l’échauffourée a été évitée de justesse ; les arabo-musulmans confondant souvent débat et pugilat, convaincus que de la confrontation d’idées, doivent forcément sortir un vainqueur et un vaincu. Il n’est que de voir les gesticulations, les hurlements et les menaces entre parlementaires dans nos hémicycles pour avoir une idée du travail pédagogique qui reste à faire pour apprendre à débattre dans le calme et la sérénité.
Mais ceci est une autre affaire.
Ainsi donc l’autre jour, le ton était monté entre ouailles à propos des injonctions de l’imam appuyées à un hadith rappelant aux fidèles l’obligation d’entrer dans les mosquées du pied droit et d’en sortir du pied gauche.
En gros, il y avait deux groupes :
Il y avait ceux qui considéraient que ces attitudes faisaient partie des détails qui détournent le fidèle de l’essentiel de la prière, à savoir le dépouillement des soucis quotidiens pour mieux se préparer à la rencontre avec Le Créateur et que ces détails valaient donc roupie de sansonnet. Et de rappeler pour mieux signifier leur agacement, le ridicule parfois presque inquisitoire des « vérificateurs de l’alignement des doigts de pieds » dans le « wouquf ou le qiam », par exemple.
Et il y avait ceux qui ne laissent rien passer et qui connaissent par cœur la litanie du « yajouz et layajouz » (permis et non-permis). Ce sont ceux-là qui posent problème parce qu’ils ignorent le compromis, détestent le foot et méprisent les barbiers. Il va de soi qu’ils n’ont aucun sens de l’humour et qu’ils ne rient qu’aux seules anecdotes de l’imam dont on imagine aisément l’esprit déluré, n’est-ce pas ?
Ainsi donc, l’autre jour, devant les discussions qui n’en finissaient plus au sujet du pied droit ou pied gauche, un fidèle d’aucun clan, jamais vu dans le quartier et bénéficiant à ce titre d’une écoute plus curieuse qu’intéressée, prit le risque de donner son avis en ces termes :
« Mes frères, essayons de discuter calmement, leur dit-il.
Primo : entrer du pied droit ou du pied gauche, cela me semble secondaire ; l’essentiel étant d’entrer, n’est-ce pas ?
Secundo : il ne s’agit pas d’une obligation canonique, car elle aurait non seulement figuré dans un verset, mais de surcroit ( que Dieu me pardonne !), Le Seigneur aurait nécessairement pensé dans sa grande sagesse aux unijambistes et aux culs-de-jatte, qui restent toujours ses créatures.
A vous écouter, on serait tenté de penser (qu’à Dieu ne plaise) qu’il n’y a pas d’unijambistes chez les musulmans, et les malveillants parmi nous seraient tentés de conclure que la perte d’une jambe est un premier avertissement divin adressé à celui qui a commis un péché. Les partisans de ce hadith les plus conciliants suggéreront de rentrer de la béquille droite et de sortir de la béquille gauche. Or il y a un problème puisque la base de la béquille salie par toutes sortes de saloperies ramassées dans la rue, souillerait forcément les tapis de prières. Resterait alors une seule solution, retourner la béquille et avancer à l’envers en faisant attention à ne pas se casser la figure.
Et les culs-de-jatte me direz-vous ?
Seraient-ils exclus de la communauté des croyants ; Dieu les ayant privés de leurs deux jambes pour avoir sans doute péché grave ? Comment pourraient-ils rentrer de la fesse droite sans prendre d’élan et sans prendre le risque de provoquer des dégâts les jours d’affluence, comme dans un jeu de quilles ou comme au bowling ? Sans compter le ridicule du spectacle que les passants non avertis auraient pris pour un numéro d’acrobatie d’un mendiant plus inventif que les autres, ayant trouvé la bonne martingale pour ramasser intelligemment quelques pièces au lieu de tendre bêtement la main comme les autres miséreux. Soit ! Mais une fois entré dans la mosquée que ferait-il de ses planches manuelles d’appui, chargées forcément des souillures de la rue ? »
Inutile de préciser que l’intrus à l’imagination trop fertile et au raisonnement inhabituel dans le quartier, fut poliment invité à faire le tri dans ses lectures et à aller faire l’intéressant ailleurs, s’il ne veut pas courir le risque de se faire arracher une jambe ou les deux, pour avoir mis en doute l’enseignement de l’imam. La menace était à peine voilée.
Saad Khiari
Cinéaste-auteur