Abdellatif Maâzouz, président de l'Alliance des économistes istiqlaliens
Les Troisièmes Assises Nationales de la Fiscalité (ANF), programmées pour les 3 et 4 mai 2019 à Rabat, portent sur le thème de « l’équité fiscale ». Il est important de noter que ces assises interviennent dans un contexte international mondialisé marqué par un retour au protectionnisme commercial et par un durcissement des règles de conformité fiscale, et au niveau national, dans une période marquée par un ralentissement de la croissance, une recrudescence du chômage, une détérioration du pouvoir d’achat des ménages, un rétrécissement de la classe moyenne, une accentuation des inégalités sociales et spatiales et des attentes de plus en plus élevées des citoyennes et citoyens, dont l’expression tend à changer de cadre et de forme.
Aujourd’hui, toute réflexion de réforme du cadre fiscal devrait privilégier un élargissement de l’assiette et une réduction des taux dans le cadre d’un système fiscal légitimé et équitable aux yeux des contribuables, économiquement incitatif, transparent, simple, clair, efficient, stable sur le moyen terme, solidaire, juste et ne laissant pas d’espace à l’arbitraire, dit-on auprès des Istiqlaliens. Tout en récusant les opportunismes fiscaux et les dictats des catégorisations selon les listes énoncées par les puissances économiques et qui peuvent mettre notre économie en péril, l’AEI se propose de défendre les grands principes suivants : Simplicité, solidarité, stabilité et efficience (3SE).
Et de poursuivre que les 3èmes ANF constituent une occasion pour amorcer certaines ruptures porteuses d’une nouvelle vision de développement économique et d’un mode de gouvernance basé sur la transparence, la stabilité, l’anticipation, la programmation, le suivi, l’évaluation et la reddition des comptes. Il est donc nécessaire de mettre à plat le système fiscal actuel pour distinguer ce qui doit relever strictement du local (TNB), ou du régional (TPI ; Taxe professionnelle) ou du national de ce qui peut relever à la fois du national et du régional (ex : TVA).
Prenant en considération les axes retenus par la note de cadrage établie par le Comité Scientifique des Assises, l’AEI se propose d’apporter sa contribution autour des 4 axes suivants : Le consentement à l’impôt, l’équité et la transparence du système fiscal ; Promouvoir la citoyenneté des marocains et rétablir leur confiance envers les institutions publiques (Gouvernement, administrations, collectivités locales) ; Assurer la primauté du droit et l’application de la loi à tous les marocains sans exception ; Assurer un service public équitable, efficace et fluide et lutter contre la corruption, l’économie de rente et les privilèges non justifiés. Tels sont les principaux piliers de la gouvernance fiscale et les prérequis au consentement du contribuable. Les activités informelles livrent une concurrence déloyale aux activités formelles, notamment celles s’adressant au marché national, et plus particulièrement les productions des PME. Les écarts de marges entre ces deux types d’activités engendrent un effet d’éviction sur les investissements structurés et les entreprises citoyennes.
Pour une meilleure adhésion et consentement à l’impôt, les istiqlaliens préconisent les mesures suivantes :
* Tenir compte de la capacité contributive des agents économiques et instituer une progressivité de l’impôt;
* Renforcer la transparence en communicant régulièrement sur les principaux emplois qui sont faits des recettes fiscales, notamment ceux qui affectent directement le contribuable ;
* Mettre en place un Observatoire national de la fiscalité chargée de veiller sur la stratégie fiscale et d’évaluer les politiques fiscales et leur conformité aux objectifs fixés en matière d’équilibre des finances publiques, d’efficience économique et d’équité fiscale;
* Protéger le contribuable contre le pouvoir interprétatif de l’administration fiscale en mettant en place une Direction de la Législation Fiscale, indépendante de la Direction Générale des Impôts, en charge de l’interprétation de la doctrine fiscale ;
* Veiller au respect par l’Etat de ses engagements envers le contribuable, notamment en termes de délais de paiement, de remboursement et de restitution des impôts ou en termes de réponse aux réclamations ;
* Identifier l’informel « vivrier », mais stabilisateur social, et proposer un plan d’intégration sur 5 ans, accompagné de formation, d’accès à la couverture médicale, à la retraite et au financement;
* Renforcer le dispositif des sanctions à l’encontre des agents économiques qui se soustraient aux obligations et au paiement de leurs impôts.
Il est bien entendu que les sanctions fiscales doivent être motivées. Chez les Istiqlaliens, on souligne également que ‘‘notre système fiscal génère une pression fiscale mal répartie du fait de la concentration de certains impôts sur une catégorie d’agents économiques (2% des sociétés paient 80% des recettes fiscales au titre de l’IS et de la TVA). Parallèlement, une grande partie de contribuables (personnes physiques ou morales) continuent d’évoluer en dehors du circuit économique fiscalisé’’.
Les impôts indirects constituent une part très importante des recettes fiscales totales. Or, le caractère aveugle de l’impôt indirect et son impact privatif pour les familles à faible revenu remet en cause l’équité du dispositif actuel. De l’avis de l’AEI, la TVA qui frappe les produits nécessaires pèse plus lourdement sur les contribuables à faible revenu que ceux qui disposent de revenus élevés. D’où la recommandation d’instaurer l’utilisation d’une quote-part de la recette de la TVA pour financer des programmes de solidarité ; une manière de redistribution équitable et une baisse de la pression fiscale « indirecte ». L’absence de neutralité de la TVA ne fait que nourrir les circuits informels, pousser les contribuables « hésitants » du circuit formel à la non-conformité (sous-facturation …) et surtout réduire son rendement, selon les économistes du parti.
Une réforme de cet impôt s’impose aux niveaux de : la simplification de la structure des taux, la généralisation de son champ d’application, la généralisation du droit à déduction, l’évaluation des régimes dérogatoires en vigueur, l’homogénéisation du fait générateur (régime encaissement ou régime débit), la généralisation du remboursement systématique des crédits de TVA dans les délais.
L’unicité de l’impôt, disent les Istiqlaliens, se trouve affectée par l’existence de régimes dérogatoires permettant l’application de taux d’imposition proportionnels libératoires. Le système actuellement en vigueur, qualifié de « système dual », n’impose pas toutes les catégories de revenus d’une manière équivalente du fait de l’existence d’un barème progressif (frappant les revenus du travail et des bénéfices des entreprises) et d’un barème proportionnel (applicable aux revenus du capital, avec 2 taux proportionnels introduits par la LF 2019 applicables aux revenus fonciers). Enfin, ce constat est source de distorsions et de transferts entre les divers instruments d’épargne. Le Maroc cherche à développer ses capacités nationales d’épargne et d’investissement, à attirer des IDE porteurs de valeur et créateurs d’emplois, à déployer et à valoriser sa position de carrefour incontournable entre l’Union européenne et l’Afrique.
Par ailleurs, l’économie marocaine doit préserver et moderniser ses secteurs historiques (Alimentaire, habillement, tourisme, artisanat, etc…) et intensifier la diversification de sa production vers des produits et services bien positionnés sur les chaines de valeur mondiales. A ce titre, les PME, porteuses de projets d’investissements à petite ou moyenne dimension financières, et souvent plus « labour intensives » doivent bénéficier au moins de la même attention et de plus d’avantages fiscaux et sociaux que les grands projets capitalistiques et souvent générateurs de moins d’emplois. L’accent doit être porté sur la mise en place simultanément d’incitations fiscales et sociales pour favoriser les jeunes entreprises ou « entreprises émergentes » ainsi que la reprise et la restructuration des entreprises en difficulté…
H.Z