Fadela Bennani, diplômée d’une grande école de commerce parisienne, a d’abord fait carrière dans le conseil et la stratégie au sein d’entreprises prestigieuses, avant de prendre conscience, petit à petit, que l’épanouissement personnel était autre chose qu’avoir une belle carrière et un haut salaire.
La naissance de sa fille a accéléré ce processus et l’a engagée dans la voie de l’entreprenariat.
Non pour faire fortune, mais pour promouvoir des produits écoresponsables matérialisés par des sneakers sous la marque AMAZ et valoriser le patrimoine artisanal national.
Une démarche d’autant plus admirable qu’une partie du produit de la vente de ces baskets permet de financer la scolarité et la résidence en pensionnat de jeunes filles issues des villages enclavés du Haut Atlas que l’ONG « Education for All » a mis en place depuis une dizaine d’années.
Ce parcours de Fadela Bennani nous prouve que la vraie richesse n’est pas matérielle, mais s’exprime à travers l’engagement sincère et pérenne au service de nobles causes.
La Nouvelle Tribune :
Mme Bennani, à l’occasion de ce jour dédié à la Femme, nous avons voulu mettre en exergue les mérites de femmes au parcours atypique et dont vous faites partie. Pouvez-vous, à ce titre, vous présenter à nos lecteurs ?
Mme Fadela Bennani : J’ai créé la marque AMAZ de baskets marocaines éthiques en 2017.
Avant cela, j’avais eu plutôt un parcours classique de bonne élève ! En effet, après avoir obtenu un bac S au Lycée Lyautey de Casablanca, j’ai intégré des classes préparatoires au Lycée Lakanal à Sceaux et enchainé avec un diplôme de l’ESSEC à Paris.
J’ai commencé ma carrière en conseil et stratégie chez McKinsey & Company à Paris, puis, à mon retour au Maroc, dans le même domaine chez Valyans Consulting.
Mais, six ans passés dans le domaine du conseil m’ont quelque part épuisée et j’ai eu envie d’un job plus opérationnel !
J’ai rejoint Groupon en 2012, le géant américain des deals à l’époque, je voulais vivre l’expérience d’une startup et relever le défi d’un nouvel engagement.
Jusque-là, j’avais un rythme de vie d’enfer et ne m’étais jamais vraiment posée de question sur le sens de ma vie professionnelle, j’étais plutôt carriériste et considérais comme une évidence imposée que le salariat était la seule voie qui s’offrait à moi, sans doute pour la stabilité et le confort matériel que cela me procurait.
Qu’est ce qui va vous faire changer d’avis ? De quoi avez-vous pris conscience ?
Un constat s’imposait de plus en plus à moi, je ne m’épanouissais pas ! Je travaillais sans arrêt et n’en tirais pas beaucoup de satisfaction. Tant qu’il ne s’agissait que de ma personne, je continuais, mais la naissance de ma fille en 2014 a déclenché une véritable remise en question.
Je me suis interrogée sur mes aspirations dans la vie et ne me sentais pas capable de reprendre mon travail chez Groupon après mon congé de maternité. Ce déclic s’imposait à moi et me poussait en même temps, dans le vide !
Sans plus réfléchir, j’ai pris la décision de démissionner.
Dans quel objectif, vous arrêter de travailler ?
Non, pas du tout, j’ai tout de suite envisagé de me mettre à mon compte sans vraiment appréhender le risque.
J’ai commencé par créer une société spécialisée dans les programmes de fidélité en B2B, pensant rester ainsi dans une activité en lien avec mon métier précédent chez Groupon.
Cette aventure a duré près d’un an et demi et s’est soldée par un échec.
J’ai traversé une période de doute qui m’a permis d’approfondir ma réflexion sur le sens de ma vie professionnelle et de revoir mes priorités dans la vie, aidée par mes lectures sur le concept de sobriété heureuse de Pierre Rabhi.
Vous n’alliez tout de même pas en rester là ?
Non, bien au contraire ! Dans ce nouvel état d’esprit, j’ai décidé de relever le défi de l’entrepreneuriat une deuxième fois, mais cette fois pour un projet porteur de sens avec un impact social.
Je voulais réaliser un rêve, celui de créer une marque de baskets marocaines éthiques, solidaires et artisanales.
Et c’est ainsi qu’AMAZ est née en 2017 !
Les sneakers AMAZ sont faites à la main et valorisent le savoir-faire ancestral de nos artisans-maâlems, tout en intégrant une touche d’artisanat marocain. Elles sont faites sans aucune matière d’origine animale et sont éco-conscientes, l’emballage étant un simple « tote bag ».
Après un lancement réussi au Maroc, je mets aujourd’hui l’accent sur le développement de la marque à l’international à travers le site de vente électronique.
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi AMAZ est une marque solidaire de sneakers ?
Mon concept portait, d’une part, sur la création de baskets contemporaines avec une touche d’artisanat marocain, et d’autre part, je tenais à ce que mon projet œuvre en faveur d’une meilleure éducation des filles dans le monde rural.
C’est ainsi que je me suis engagée avec l’ONG « Education for All », en mettant en place le programme « AMAZ for Education » à travers lequel pour chaque paire de AMAZ vendue, un jour de pensionnat pour une fille scolarisée dans le secondaire est financé dans la région du Haut Atlas.
Dans notre pays, une majorité de filles issues des communautés rurales n’ont malheureusement pas la possibilité de poursuivre leurs études après l’école primaire, car les collèges et lycées sont très souvent éloignés de leur domicile.
« Education For All » œuvre depuis 2007 en faveur de la scolarisation dans le secondaire des filles issues des communautés rurales reculées du Haut Atlas.
L’association construit et gère des pensionnats pour filles à proximité des collèges et lycées dans les villages.
Le premier établissement a vu le jour en 2008 à Asni, à 45 km de Marrakech, dans les montagnes, et le nombre de pensionnats aujourd’hui gérés par l’association s’élève à 5 pour un total de 180 filles pensionnaires âgées entre 11 et 18 ans.
Par ailleurs, 30 filles ayant été pensionnaires vont aujourd’hui à l’université à Marrakech et sont financièrement prises en charge par l’association.
Les coûts de fonctionnement en pensionnat sont d’environ 10 000 dhs par fille et par an. Cette somme subvient à leurs besoins en termes de logement, de nourriture, ainsi que de matériel scolaire, de vêtements et d’encadrement.
Mme Bennani, votre noble projet n’était pas non plus des plus simples sur le plan entrepreneurial, pouvez-vous partager avec nous sur cet aspect ?
Je dirais que le parcours d’entrepreneur est clairement semé d’embûches et que le sacrifice financier n’est pas le moindre des aspects.
Par exemple, j’ai mis un an à trouver un atelier de fabrication à Casablanca qui accepte de croire en mon projet et à réaliser un prototype.
Sans compter les difficultés intrinsèques liées à l’environnement entrepreneurial telles que l’accès difficile au financement et le cadre réglementaire souvent inadapté.
Oui, j’aurais pu flancher, mais je suis restée « droite dans mes baskets », en l’occurrence et j’ai continué à courir.
J’avoue que le plus difficile a été le regard des autres, qui aurait pu me déstabiliser ! La réaction de la société n’a pas été des plus valorisantes.
En un mot j’ai été cataloguée comme une femme au foyer qui n’a pas voulu se trouver un « vrai » job !
Heureusement que j’ai eu le soutien inconditionnel de mon mari et de mes parents, pour continuer à y croire !
Aujourd’hui, je suis une maman entrepreneure épanouie qui ne regrette pas d’avoir osé changer de vie !