Les petites et moyennes entreprises au Maroc ont-t-elles besoin d’apporter des preuves de leurs difficultés notamment en matière de recouvrement de leurs faibles chiffres d’affaires ?
Inforisk, spécialiste du renseignement commercial sur les sociétés marocaines, a récemment publié un rapport sur les délais de paiement au titre de l’année 2017, qui démontre que ceux-ci restent très élevés, avec 3,4 mois pour les Grandes Entreprises (GE), 5,1 mois pour les PME et 9,9 mois pour les TPE.
De mal en pis…
Mais ce ne sont là que des moyennes car, selon les secteurs, ce délai augmente gravement comme pour le commerce où le délai de règlement client passe à 10,5 mois, quand il atteint 11 mois pour le secteur de l’immobilier, et 9,8 mois pour le BTP.
Chez les métallurgistes, «la situation est insoutenable et génère, tous secteurs confondus, une terrible méfiance entre l’administration et les opérateurs », nous a confié l’un d’eux en marge de la récente Assemblée élective de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME).
Plus grave encore et toujours selon Inforisk, les crédits interentreprises ont atteint 387 milliards de dirhams en 2017, en augmentation de 6% par rapport à l’année précédente, ce qui ne représente pas moins de 35% du PIB de l’économie marocaine.
Ce constat est d’une telle gravité pour les entreprises concernées qu’il va jusqu’à en causer la défaillance définitive.
Et, selon Inforisk encore, c’est le cas pour les trois secteurs qu’il cite comme étant les plus touchés commerce 35%, immobilier 16% et BTP 22%, de défaillances d’entreprises.
Ces défaillances d’entreprises en 2017 étaient en hausse de 12% par rapport en 2016, soit 8020 entreprises qui ont dû arrêter leurs activités pour cause de problèmes de recouvrement de grande ampleur.
D’ailleurs, ce phénomène s’installe et devient structurel car depuis 2009, les défaillances de PME connaissent une hausse moyenne annuelle de 16%.
En conséquence, le ratio créations d’entreprises/défaillance est en chute libre depuis 10 ans, passant d’une défaillance pour 10 entreprises créées en 2009 à une pour 4,5 en 2017.
Le premier trimestre de l’année en question a été particulièrement meurtrier avec 2571 défaillances, en hausse de 35% par rapport à 2016.
Si d’autres secteurs comme la pêche et l’aquaculture, les industries extractives et les activités financières sont les plus épargnés, selon une étude de Dun & Bradstreet, le Maroc connait l’une des pires augmentations des faillites de PME de par le monde où la moyenne a été de 2,7% uniquement en 2017.
Pourtant, la loi sur les délais de paiement au Maroc a bien été introduite, mais ses premiers effets sont toujours attendus par les TPME qui ont subi en 2017 des retards en termes de délais de paiement soulignés comme suit par Inforisk :
– TPE : 9,9 mois. (+0,1 mois par rapport à 2016)
– PME : 5,1 mois (égal à 2016)
– GE : 3,4 mois (égal à 2016)
Et si la problématique des délais de paiement est internationale, il est cependant inutile de faire le benchmark du Maroc avec les autres pays qui se sont penchés sur la question et pris différentes mesures pour solutionner ce problème.
Et tout particulièrement, les pays développés comme la France, l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Australie ou Singapour, détaillés par l’étude d’Inforisk et dont notre pays peut s’inspirer.
Les TPE exemplaires et pourtant !
D’autre part, une enquête menée par la société Inforisk en 2016 sur les comptes de 30.400 entreprises, pour évaluer l’ampleur des retards de paiement, fait le triste constat que plus de la moitié des sociétés qui se conforment au délai légal des paiements sont des TPE. Les grandes entreprises seraient elles moins concernée du fait de l’utilisation d’un rapport de force entre clients et fournisseurs qui relèvent de la taille des uns et des autres !
L’étude propose des « pénalités de retard dissuasives » pour éviter que des entreprises se financent au détriment d’autres.
Le taux de pénalité préconisé « doit être au moins équivalent au crédit de trésorerie bancaire ».
Les pouvoirs publics ont certes alerté les opérateurs économiques sur cette très grosse problématique de l’étouffement des PME sous le joug de l’accroissement des délais de paiement.
Déjà en 2014, puis en 2017, et en 2018, récemment par le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, qui a appelé sévèrement les établissements et entreprises publics, (du moins), « à respecter les délais de paiement ».
M. Benchaaboun au taquet
Il s’est appuyé sur le dernier discours royal du 20 août 2018 pour inciter les directeurs généraux à plus de rigueur budgétaire dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs.
« Tout retard de paiement peut engendrer la faillite d’une entreprise et une perte d’emploi », a-t-il martelé.
L’État a créé, via le décret du 18 septembre 2017, un observatoire des délais de paiement.
La note du tout nouveau ministre des Finances, Mohamed Benchaaboun, vient un an, jour pour jour, après la création de l’observatoire.
La future entité devra publier un rapport annuel qui relate l’évolution des paiements des créanciers de l’État. C’est dire à quel point ce dossier est brûlant !
Par ailleurs, le projet de loi de finances 2019 est cité à son tour dans la dernière note ministérielle du 18 septembre, où le chef du gouvernement insiste sur «la nécessité de garantir le paiement » des prestataires des marchés publics en faveur tout particulièrement des PME et TPE.
Mais dans la réalité économique, nous ne pouvons mettre tous les maux des impayés sur le dos de l’État, car, dans les faits, ce sont aussi les grandes sociétés qui dévorent les petites.
Les impayés plombent aussi les relations entre les entreprises du secteur privé !
En effet, 52% des sociétés uniquement respectent le cadre légal avec des délais de paiement inférieurs à 90 jours.
31% des sociétés accusent entre 30 et 90 jours de retard par rapport aux délais légaux.
12% accusent elles un retard de paiement compris entre 120 et 210 jours, soit 4 et 7 mois de plus que les délais légaux et 5% de 240 et 300 jours, soit 8 et 10 mois !
Les banques, dans leur volonté de financer la PME, se trouvent confrontées à ces problèmes de recouvrement qui pénalisent l’activité de la PME, et la fragilise aux yeux des banques dans leurs relations réciproques. Selon un banquier interrogé sur les difficultés des PME et surtout des TPME, elles subissent souvent la loi de leurs partenaires grandes entreprises.
Et selon ce même banquier, très soucieux de la situation des toutes petites entreprises en particulier, la solution résiderait peut-être dans le renforcement de la législation des effets de commerce qui, tout en traduisant sur le plan juridique des reconnaissances de dettes, ne sont plus l’objet de sanction.
Cela, alors que le chèque impayé donne immédiatement un recours, par la police interposée, au créancier sur son débiteur et pouvant aller jusqu’au « domicile » de ce dernier …
Afifa Dassouli