D’Algérie voisine nous parviennent des informations passablement inquiétantes qui donnent à penser que de vastes manœuvres destinées à confier au Président Bouteflika un cinquième mandat sont bel et bien en cours, nonobstant l’état de santé du premier édile de la nation.
Celles-ci interviennent dans un contexte général déplorable.
L’atonie économique perdure, alimentée par la sempiternelle dépendance envers les exportations d’hydrocarbures.
La corruption et l’affairisme sévissent à tous les niveaux, tandis que la jeunesse, abandonnée à son triste sort, celui des « hittistes », n’a d’autre choix que de suivre le chemin de ses aînés, celui de la débrouille et des faveurs financières que l’État algérien déploie depuis des années pour acheter la paix sociale.
Quant au paysage politique, il est marqué par le blocage systématique des partis démocratiques d’opposition, l’interdiction de manifester en public, les atteintes aux libertés et aux droits humains, ce que dénonçait tout récemment encore Ali Benflis, ancien Premier ministre, opposant notoire aux cercles dirigeants et au FLN.
Quant à Nacer Boudiaf, fils du Président Boudiaf assassiné en juillet 1992 à Oran, qui avait annoncé sa candidature aux élections présidentielles de 2019, il serait aujourd’hui privé de son passeport algérien, comme première « contre-mesure » destinée à l’affaiblir.
Mais, ce climat délétère et l’épais brouillard qui interdit toute visibilité sur la réelle capacité du Président Bouteflika à assumer son pouvoir, ne sont pas choses nouvelles, mais plutôt la perpétuation d’une situation pendante depuis plusieurs années.
ANP, la mise au pas
Ce qui est nouveau, c’est la volonté du clan présidentiel, dirigé par Saïd Bouteflika, l’un des frères du Président, d’assurer la plus qu’évidente candidature de l’actuel chef de l’État à un cinquième mandat en organisant la mise au pas de la plus haute hiérarchie de l’Armée nationale Populaire, cette soi-disant « grande muette » qui, depuis 1962, a toujours contrôlé les élections présidentielles algériennes.
En effet, alors que la corruption au sein de cette armée n’est qu’un secret de polichinelle, plusieurs limogeages d’importance sont intervenus au cours des dernières semaines et récemment, au détriment de hauts gradés connus pour leur fidélité à l’actuel chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, à ce poste depuis août 2004.
Mardi, un communiqué annonçait la mise à la retraite du chef de l’armée de l’Air, le général-major Abdelkader Lounès et son remplacement par le général-major Hamid Boumaiza, tandis que la chaîne de TV Ennahar, réputée proche du clan présidentiel, faisait état également du départ forcé du commandant des forces terrestres, le général Ahcène Tafer.
En juillet dernier déjà, sur décision du Président Bouteflika, plusieurs généraux avaient été relevés de
leurs commandements, dont trois des six chefs de régions militaires et du commandant de la Gendarmerie nationale.
Un peu plus tôt, en juin, c’est le puissant chef de la police, le général Abdelghani Hamel, Directeur général de la Sûreté nationale, qui avait fait l’objet d’un départ forcé.
Enfin, selon le site algérien El Watan, cinq généraux-majors font l’objet d’une enquête judiciaire militaire.
Il s’agit de Lahbib Chentouf, chef de la 1ère Région militaire (RM), Saïd Bey, commandant de la 2eRM, Abderrazak Cherif, chef de la 4e RM, Boudjemaa Boudouaouar, directeur des finances au ministère de la Défense nationale et Menad Nouba, commandant de la Gendarmerie nationale.
Remember Hamlet…
Tout cela, bien évidemment, suscite de nombreuses interrogations et moult commentaires, en Algérie même, mais aussi dans plusieurs capitales qui s’inquiètent de la tournure des évènements, craignant une « fin de règne » agitée, voire un affrontement entre partisans du clan présidentiel et une partie de l’armée qui refuse ce « coup de balai », lequel cache mal la peur chez certains d’un pronunciamiento que l’ANP a déjà plusieurs fois entrepris au cours de l’histoire agitée de notre voisin de l’Est.
Cela parce que l’armée algérienne est depuis toujours l’épicentre du réel pouvoir dans ce pays, dotée d’un Budget de 8,6 milliards d’euros en 2017, elle est, selon le think-tank belge GRIP, (Groupement de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité), « …le pays qui consacre le plus de ressources financières au secteur de l’armement sur le continent africain ».
Le même institut souligne également que sur la période 2013-2017, l’Algérie a été le 7ème plus grand importateur d’armements conventionnels au monde, ajoutant que les importations d’armes ont constitué l’an dernier 3,7% des exportations mondiales et 52% au niveau africain ! Au total, l’ANP et ses dépenses pesaient en 2017 5,7% du PIB de l’Algérie…
Ces chiffres, assurément, confortent le sentiment que l’armée algérienne est le dépositaire du pouvoir, dans toutes ses dimensions, politique, institutionnelle, économique, ce qui fait d’elle, en réalité, le décisionnaire ultime en matière de désignation du Président de la République.
Voilà ce qui explique, somme toute, les décisions présidentielles à l’encontre d’une hiérarchie qui, de plus en plus, serait tentée par un changement à la tête du pays, dans le sens d’un rajeunissement, bien sûr.
En tout état de cause, l’avenir s’annonce bien incertain pour l’Algérie, ce qui ne saurait passer inaperçu dans son environnement, régional et international…
Fahd YATA