La détresse des joueurs allemands éliminés par les Sud-Coréens du gardien Cho Hyun-woo à Kazan, le 27 juin 2018 © AFP Luis Acosta
Du triomphe de 1954, qui a permis à l’Allemagne de revenir dans le concert des nations, à l’équipe multiculturelle ouverte sur le monde de Joachim Löw, l’équipe nationale de football, éliminée mercredi du Mondial-2018, fut après la guerre un élément essentiel de la renaissance allemande et reste un pilier de l’identité nationale.
– 1954: le retour des bannis –
1950: l’Allemagne est interdite de Mondial, les cicatrices de la guerre sont trop fraîches et le pays reste un paria.
Quatre ans plus tard, c’est le « Miracle de Berne ». Contre tous les pronostics, la Mannschaft bat en finale en Suisse les grands favoris hongrois. C’est la première fois que les Allemands ont un motif de fierté collectif depuis la honte du nazisme et de la défaite.
« Cette victoire a rempli un vide », explique à l’AFP Kristian Naglo, professeur de sociologie à l’université de Marbourg et spécialiste du sport. « Pour un temps relativement court, l’Allemagne est revenue sur la scène mondiale, elle a montré qu’elle revenait dans le concert des nations, et elle a de nouveau suscité le respect », explique-t-il.
Cette incroyable victoire est le point de départ de l’histoire très particulière qui unit les Allemands à leur équipe de football.
– « Wirtschaftswunder » et coupe du monde –
Dès les années 70 survient un autre « miracle », le « Wirtschaftwunder », ou « miracle économique ». En quelques années, l’Allemagne de l’Ouest devient l’un des pays les plus riches du monde. Son nom rime avec rigueur, qualité, succès. C’est l’époque du titre mondial de 1974 et des héros qui ont laissé leur nom dans le grand livre d’or du football: Franz Beckenbauer, Gerd Müller, Paul Breitner… Le football allemand s’enorgueillit des valeurs du temps: rigueur, puissance physique, esprit combatif.
Au moment du Mondial 1990, le Mur de Berlin est tombé et l’Allemagne en train de se réunifier. Les Allemands sortent enfin du cauchemar du nazisme et remportent leur troisième Coupe du monde.
« Ces deux victoires sont le symbole d’une revalorisation de l’image de l’Allemagne, parce que jusque-là la référence ultime dans l’histoire allemande depuis 1945 était toujours Auschwitz », commente Kristian Naglo. Le football donne alors aux générations d’Allemands qui n’avaient pas connu la guerre une opportunité de se regarder dans la glace sans grimacer.
– Joachim Löw: la nouvelle Allemagne –
« Une équipe et la façon dont elle joue représente aussi l’esprit du temps », reprend le sociologue du football. « Cette équipe multiculturelle que nous avons maintenant, avec Özil, Khedira, etc… est le résultat du profond remaniement de la société entamé au début des années 2000 et cela a quasiment redéfini le football allemand: un jeu rapide, beau et efficace », détaille-t-il.
Cette diversité dans le football est une conséquence directe de la loi de 2000 sur la nationalité, qui a permis pour la première fois à des enfants de parents étrangers de devenir allemands, sous certaines conditions.
La convergence entre le football et cette Allemagne tolérante, ouverte au monde et enfin réconciliée avec elle-même culmine lors du Mondial-2006. Des millions de supporters venus du monde entier découvrent un pays sympathique et accueillant. L’équipe nationale, désormais composée en partie de joueurs d’origine étrangère, enthousiasme par son jeu et son état d’esprit, même si elle ne gagne pas.
Le titre mondial de 2014, après le mémorable 7-1 contre le Brésil en demi-finales, met un point d’orgue à ces années d’euphorie, marquées par une présence permanente dans le dernier carré de toutes les grandes compétitions (Mondiaux, Euros, Coupe des Confédérations) depuis 2006.
– 2018: Face au repli identitaire –
Récemment, l’équipe d’Allemagne a servi de caisse de résonance aux tensions de la société. Deux joueurs d’origine turque, Mesut Özil et Ilkay Gündogan, ont été violemment pris à partie pour avoir posé pour une photo avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, en pleine campagne électorale.
La double réaction du président de la Fédération allemande Reinhard Grindel souligne l’identification entre la nation et son équipe: « Le football et la DFB (Fédération allemande) défendent des valeurs qui ne sont pas complètement prises en compte par M. Erdogan, a-t-il fustigé à chaud, mi-mai. Il n’est pas bon que nos joueurs internationaux se laissent manipuler (…) En faisant cela, ils n’ont certainement pas aidé le travail d’intégration de la DFB ».
Un mois plus tard, le même Reinhard Grindel dénonçait les attaques aux relents xénophobes qui continuent à viser Gündogan et Özil: « Il y a quelque chose de plus profond, qui va au-delà de ces deux joueurs. Il y a des problèmes dans ce pays qui dépassent largement le football », dit-il: « Nous sommes confrontés à un problème de société qui nous touche nous, Fédération, parce que nous sommes un miroir de cette société ».
C’est vrai. Et depuis plus de 60 ans.
LNT avec Afp