Crédit photo : Ahmed Boussarhane.
Procureur Général Adjoint près le Tribunal de Première Instance de Casablanca, membre de l’Association Marocaine des Femmes Juges, Mme Aïcha Aït Elhaj plaide pour la cause des femmes magistrats et la nécessité de la parité au sein de l’appareil judiciaire dans l’entretien qui suit.
La Nouvelle Tribune : Qui est Mme Ait Elhaj ?
Mme Ait Elhaj : Je suis lauréate de l’Institut Supérieur de la Magistrature en 1999. Au début de ma carrière professionnelle, j’ai rejoint le parquet général au niveau du Tribunal de Première de Instance de la ville de Khouribga pour une période de cinq ans.
J’ai fait par la suite un court passage au Tribunal de Première Instance de Ain Chok Hay El Hassani, car à l’époque, en 2004 notamment, il a été procédé à l’unification des juridictions et les cinq Tribunaux de Première Instance de la capitale économique ont été unifiés autour du Tribunal de Première Instance du Grand Casablanca où j’ai été installée.
Durant cette période, il y avait trois chambres spécialisées, à savoir une chambre civile, une chambre pénale et un service spécialisé en matière de statut personnel et successoral. J’ai rejoint alors la Chambre Civile et j’y suis restée jusqu’en 2011, date de la catégorisation des juridictions du Royaume. Depuis cette date, je suis dans ce tribunal et aujourd’hui je suis Procureur Général Adjoint.
Qu’en est-il de votre parcours professionnel en tant que femme magistrat marocaine ?
Il faut dire d’abord que la magistrature est une profession parmi tant d’autres. En ce qui me concerne, le fait de l’exercer n’a pas quelque chose de surprenant. Bien au contraire, cela me parait normal qu’une femme exerce la magistrature. Mais en réalité, il est quand même important de reconnaître que du moment qu’on ne cesse de revendiquer la parité, on ne doit pas prétendre que cette profession serait incompatible avec la gent féminine. C’est contradictoire.
Comment cela se passe-t-il sur le terrain ?
Justement. Sur le terrain, il est à reconnaître aussi que certaines branches restent sensibles pour une femme juge, particulièrement la justice pénale. Idem pour la permanence. Mais il n’empêche qu’avec la pratique, on finit par s’y habituer. Car dans ce métier, on assure la permanence, on interroge les accusés, on assiste à des scènes peu agréables à voir, notamment en cas de coups et blessures…Toutes ces situations et bien d’autres, sont dures à supporter au début par une femme magistrat, mais au fil du temps, on s’habitue et on ne fait plus la différence entre un dossier civil et un autre pénal. Personnellement, je ne conteste pas la nature d’un procès du moment que je revendique l’égalité. C’est une question de principe.
D’une manière générale, quelle évaluation faites-vous de la présence de la femme juge marocaine dans le corps judiciaire ?
Je pense que la femme juge marocaine n’a pas atteint les acquis escomptés aux niveaux de la qualification, les sphères de décisions, les responsabilités. Il manque beaucoup de choses et on aspire toujours à plus pour atteindre l’égalité. La constitution de 2011, dans son article 111, nous a permis de nous constituer en association professionnelle, et nous étions les premières à créer une association en la matière au Maroc et dans le monde arabe, en l’occurrence l’Association Marocaine des Femmes Juges présidée à l’époque par Mme Aicha Naciri, actuellement membre du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. A noter que notre objectif à travers la création de cette Association consiste à revendiquer la parité.
Justement, quels sont les principaux objectifs de l’AMFJ ?
Aujourd’hui, c’est Mme Najat Louriki, présidente de Chambre près la Cour d’Appel, qui assure la présidence de notre association. En ce qui me concerne, je suis membre du Bureau Central de l’Association en tant que trésorière.
Les objectifs de notre association restent compatibles avec l’esprit de la Constitution de 2011 qui offre à la femme la possibilité d’atteindre l’égalité à tous les échelons. Partant et grâce au quota, des femmes sont aujourd’hui membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.
Dans ce contexte, l’association s’assigne comme principaux objectifs, la consolidation des acquis, la revendication davantage d’égalité à tous les niveaux des responsabilités. On ambitionne également de voir des femmes Procureur Général du Roi, y compris dans le tribunal pénal. Pourquoi pas !
Nous sommes dans le Tribunal de Première Instance de Casablanca. Pouvez-vous nous donner une idée de la présence féminine dans cette juridiction ?
Au niveau du Civil, la dominance est féminine. Au niveau du Parquet, la présence des femmes est significative. Ainsi au niveau des procureurs adjoints, nous sommes au nombre de huit, dont deux sont des hommes. Le personnel du Parquet Général s’élève à 18, dont seulement trois ou quatre sont des hommes. Concernant les femmes juges, elles sont majoritaires. Cela est dû, semble-t-il, à la nature de la matière civile qui se veut toutefois à la portée des femmes. Mais au niveau de l’Appel, il y a une seule femme au poste de procureur général adjoint. Mais cela ne veut absolument pas dire que la femme juge est incapable d’assurer des affaires en justice pénale. Loin de là.
Un dernier mot en guise de conclusion ?
Certes, on n’est pas complètement satisfaites. Mais je pense que le chemin parcouru jusqu’à présent pour l’intégration de la femme reste positif à plus d’un titre. Nous avons, de notre côté, le devoir de consolider les acquis pour aller encore de l’avant.
Propos recueillis par
Hassan Zaatit