M. Youssef Bounoual, Président de l'Union Marocaine des Agents et Courtiers d'assurances
L’Union Marocaine des Agents et Courtiers en Assurances vient d’observer une grève nationale qu’elle a qualifiée de très largement suivie. Son président, M. Youssef Bounoual expose dans l’entretien qui suit les principales doléances et revendications de ces intermédiaires incontournables du secteur des assurances
La Nouvelle Tribune :
M. Youssef Bounaoual, d’après vos communiqués et les articles de presse, dont La Nouvelle Tribune, votre grève a été massivement suivie. Quel est le fondement de votre doléance, la motivation principale de ce mouvement ?
M. Youssef Bounoual :
Pour nous, la principale motivation, et la principale revendication, c’est que nous voulons bénéficier de la prospérité de ce secteur. Le marché de l’assurance a réalisé un chiffre d’affaires important, nous sommes le maillon fort dans la chaîne de la distribution, mais malheureusement, notre commission n’a pas bougé depuis 40 ans, de 12% en brut et 10% en net.
Donc, notre principale revendication est d’augmenter cette commission, mais aussi revoir la rémunération de l’intermédiaire d’assurance au Maroc.
Nous demandons cela pour trois principales raisons.
La première, c’est que, comme je viens de le dire, le taux n’a pas bougé depuis 40 ans, malgré le fait que les charges augmentent, que les exigences du marché et du client nécessitent un investissement supplémentaire dans les cabinets d’assurance.
De plus, de nombreuses tâches ont été externalisées vers les cabinets d’assurance. C’est donc un manque à gagner énorme. Beaucoup de tâches qui étaient à la charge des compagnies d’assurance sont maintenant réalisées par les intermédiaires : ouverture des dossiers, conseil, production, expertise, même la prise de photos en cas de sinistres (pour ceux ne dépassant pas 2500 à 3000 dhs de dommages).
La gestion est externalisée à 90%. Cela coûte de l’argent, et l’impact direct est une économie des frais généraux chez les compagnies d’assurance. C’est pour cela que nous avons déjà lancé une étude pour évaluer le coût de cette externalisation.
La deuxième revendication est cette question de TVA. Nous sommes la seule profession qui est assujettie à une TVA qui est bizarre. La TVA doit respecter deux principales donnes : il faut partir d’un HT pour calculer le TTC, et il faut être le consommateur final.
Pourtant, ces deux règles ne s’appliquent pas à notre profession. D’abord, notre commission en HT est inconnue ! Nous demandons à la DGI de nous fixer le HT, et après nous ferons le calcul de la TVA. Et nous ne sommes pas les consommateurs finaux.
Et après m’être beaucoup déplacé, j’ai constaté qu’ailleurs (Europe, Afrique, Canada) l’intermédiaire est exonéré de TVA sur sa commission. Nous ne sommes non seulement pas exonérés, mais nous n’avons pas droit à la déduction ! Cela n’a aucun sens !
La troisième revendication est la protection juridique des intermédiaires. Il faut clarifier la situation. Sur ce point, nous réclamons qu’avant que chaque dossier soit transmis au tribunal ou la police judiciaire, au sein de l’ACAPS il y a une instance qui est la commission de discipline à laquelle on doit pouvoir s’adresser.
Enfin, nous voulons par ailleurs corriger la relation entre l’intermédiaire et la compagnie, dans un cadre de dignité. Parce qu’actuellement, c’est une relation de subordination, de soumission.
Mais y a-t-il a une différence entre le courtier d’assurances proprement dit, et l’agent d’assurances d’une compagnie ? Avez-vous- les mêmes revendications ?
La commission est libre, elle a été libéralisée en 2002. C’est-à-dire que les compagnies d’assurances n’ont pas cette contrainte légale de figer un taux de commission.
D’ailleurs, certains courtiers, surtout le grand courtage, touchent une commission qui dépasse de loin celle que touchent les 95% du réseau.
C’est-à-dire que techniquement et légalement parlant, les compagnies sont libres de donner le taux qu’elles veulent. La branche qui concerne 80% du réseau est la branche automobile. L’assurance automobile est largement bénéficiaire, et cela n’a aucun sens que la commission n’ait pas bougé depuis 40 ans.
Quels sont les moyens de pression efficaces qui sont à votre disposition pour pouvoir amener les compagnies à revoir ceci ?
Le seul moyen, c’est le dialogue. Nous sommes des entrepreneurs, des chefs d’entreprise. Si nous faisons grève, c’est notre dernier recours, et d’ailleurs, dans notre dernier communiqué, nous avons indiqué que nous sommes pour le dialogue. La question que je pose est : pourquoi la FMSAR et l’ACAPS n’ouvrent-elles pas jusqu’à aujourd’hui le dialogue avec une association représentative de la profession ?
Êtes-vous vraiment représentatifs ?
Oui, mais c’est un autre sujet, parce que la représentativité a été fixée par la loi 64-12, qui est très claire. C’est une loi qui a porté création de l’ACAPS, l’instance de régulation du secteur, et tant que nous sommes deux associations dans le secteur, dans le texte, le législateur a donné le pouvoir au président de l’ACAPS de désigner des membres pour qu’ils siègent dans les instances de l’ACAPS, dans les commissions de discipline et de régulation.
Effectivement, les deux associations y siègent. Mais, maintenant, nous demandons à l’ACAPS de fixer les critères de la représentativité, parce que le secteur a besoin d’une seule association représentative de la profession. Pour que nous puissions parler de façon unanime. Nous militons pour cela, et avons donné trois scenarii pour aboutir à une association représentative :
- La fusion, et nous laissons à l’assemblée générale constitutive la souveraineté de désigner ses instances ;
- Créer un Ordre national des intermédiaires d’assurances, et ça, c’est notre travail vis-à-vis du législateur ;
- Le troisième scénario est déterminé par la loi. Il s’agit de laisser au régulateur la charge de fixer les critères de la représentativité, et chaque association amène son dossier.
Quelle est l’augmentation du montant que vous souhaitez ?
Nous réclamons un taux de 25% pour la branche automobile.
Ne pensez-vous pas que cela va renchérir le coût des primes d’assurance ?
Non, nous ne demandons pas que la prime d’assurance soit augmentée. Nous ne voulons pas d’augmentation de notre marge sur le dos des consommateurs. L’automobile est une branche qui est largement bénéficiaire.
Permettez-moi de vous contredire, parce que très récemment, une grande compagnie d’assurance a présenté ses résultats annuels, et elle a annoncé que dans la branche automobile, la sinistralité a sensiblement augmenté.
L’augmentation de la sinistralité est justifiable par deux variables. La première, c’est que la sinistralité a augmenté au niveau des garanties annexes, des garanties « dommages », parce que le parc est plus récent, que les compagnies offrent parfois une garantie sans franchise et les clients sont avertis.
Un autre volet qui est intéressant, c’est que l’on n’exige pas, parfois, la réparation en cas de sinistre. La garantie déficitaire est la garantie de dommages et non pas la garantie de la responsabilité civile. Et la garantie dommages ne représente rien par rapport à la prime totale. La RC est largement bénéficiaire. La deuxième variable est la fréquence des sinistres. Dans les grandes villes, l’espace réservé à la circulation est devenu étroit, d’où le nombre accru d’accidents en zones urbaines. Mais la branche reste bénéficiaire.
Nous demandons une cotation sur la commission parce que la branche automobile représente 80% du chiffre d’affaires de 90% du réseau. C’est la branche qui fait vivre l’intermédiaire d’assurances.
Au niveau de la profession de courtier des relations avec les compagnies d’assurance, il y a l’ACAPS qui veille à la bonne marche du secteur. Mais dans le passé, il y a eu des situations assez ambigües, où les courtiers ne reversaient pas les montants de primes d’assurance aux compagnies, et il y avait des arriérés qui étaient élevés. Est-ce qu’aujourd’hui, cette situation n’a pas continué à geler les relations ?
Si l’on fait appel à l’histoire pour comprendre le présent, cette situation d’impayés doit être défalquée en deux : chez les clients, et chez les intermédiaires. Et même chez ses derniers, il faut les séparer entre le grand courtage et le reste. En 2013/14, nous étions les initiateurs, et notre message à la DAPS, (prédécesseur de l ’ACAPS), était très clair : l’intermédiaire au Maroc doit pouvoir vivre de sa commission.
Nous avions demandé à sa direction de penser un système d’encaissements et de reversements pour que l’intermédiaire ne touche que la commission et ne supporte pas le risque d’impayés clients. Et nous sommes heureux que la DAPS nous ait suivis et lancé une circulaire.
Par contre, cette circulaire était claire : l’intermédiaire n’a plus le droit de donner des facilités, sauf s’il le fait par ses propres moyens ; tout encaissement par chèque doit être libellé au nom de la compagnie. Il faut que le consommateur sache qu’il n’a plus le droit à la facilité. Mais chaque nouvelle réglementation doit être suivie d’un plan de communication externe. Pourquoi l’Autorité de régulation du secteur et les compagnies d’assurance n’ont-elles pas mené une campagne de communication pour annoncer tout cela ? Nous, face au client qui n’était pas au courant, étions pris entre le marteau et l’enclume.
Un deuxième constat n’engage que moi. Je pense que la circulaire a été initiée pour que les intermédiaires matérialisent leurs créances par des protocoles, chose qui a été faite.
Le passage de la DAPS à l’ACAPS a été fait pour doter le secteur d’un régulateur fort et indépendant.
Le régulateur doit veiller à maintenir un équilibre et une distance égale entre tous les intervenants, ainsi que de mettre de l’ordre pour éviter la crise ou le blocage
Malheureusement, pour toutes les actions qui ont suivi, l’intermédiaire était la cible des inspections, de la protocolisation, et les intermédiaires continuent à accorder des facilités parce qu’ils sont obligés de le faire.
Et je prévois qu’il y aura de la casse. Chaque intermédiaire souffre dans son petit coin, d’où le taux de participation à la grève, près de 88%.
Et pour parler chiffres, presque la moitié des intermédiaires d’assurances ne réalisent pas leur seuil de rentabilité, qui est de 4 à 5 MDH et ils ont signé des protocoles d’apurement de leurs dettes envers les compagnies sur 4 à 5 ans.
La question qui se pose maintenant de savoir comment, avec un CA qui est figé, qui augmente à peine de 6% chaque année, sachant que le taux de l’extension (pas sûr du mot??) du réseau est entre 20 et 24%, un intermédiaire qui a signé un protocole et a donné des effets avec une marge qui couvre à peine ses charges, peut-il survivre ?
Et les courtiers ont signé des protocoles avec des reconnaissances de dettes, ce qui mène au pénal en cas d’insolvabilité ! Surtout que nous ne sommes pas protégés sur le plan juridique, parce qu’il y a une certaine ambigüité concernant la notion d’abus de confiance.
Quelles sont vos doléances vis-à-vis de la solution de digitalisation Web’Inter ?
Tout d’abord, je tiens à insister sur un point : nous sommes pour la dématérialisation et le digital. Mais cette application nous demande des informations qui sont déjà disponibles chez les compagnies d’assurance. On me demande mon chiffre d’affaires et l’état de mes encaissements, qui sont tous centralisés chez les compagnies.
Mais faire de ce chantier une priorité pour l’ACAPS, et faire pression sur le réseau pour qu’il déclare trimestriellement, et surtout dans cette période critique, est-ce normal ?
Si vous voulez développer le secteur, il ne faut pas le faire uniquement sur un volet. Surtout qu’il n’y a pas d’obligation légale, à part de faire une déclaration annuelle avant le 30 avril.
Si l’ACAPS veut que nous y adhérions, il n’y a pas de souci, mais qu’on instaure un peu de souplesse…
Nous travaillons en temps réel. Lorsque nous saisissons une information, celle-ci est tracée chez la compagnie. Et ces compagnies sont à peine au nombre de 7. La saisie prend du temps, et il y a un risque : si l’intermédiaire saisit une information qui ne colle pas avec celle de la compagnie, il sera la cible d’une inspection.
Donc la question qui se pose, c’est pourquoi avoir mis en place cette application ? Si c’est pour saisir des informations, nous n’avons aucun problème. Mais certaines sont déjà stockées chez les compagnies d’assurances, par exemple toutes les informations de production et de reversement.
Ou bien, ceci peut être traduit en texte de loi, auquel cas nous n’auront aucun problème à suivre ce dernier. Mais j’insiste, nous sommes pour la digitalisation, contrairement à ce qu’indiquent certains titres de presse.
Pour finir, je signale que nous organisons un sit-in devant l’ACAPS le 13 mars.
Entretien réalisé par FY et SB