Les forces irakiennes faisant des signes de victoire en entrant dans un des champs pétroliers repris aux combattants kurdes à Kirkouk le 17 octobre 2017 © AFP/Archives AHMAD AL-RUBAYE
La rapidité avec laquelle les troupes irakiennes se sont imposées face aux combattants kurdes quelques jours après avoir chassé le groupe Etat islamique (EI) de la province de Kirkouk montre le changement radical du rapport de forces en Irak, affirment des experts.
Pendant 14 ans, face à une armée impuissante, les peshmergas ont systématiquement grignoté du terrain dans les zones que se disputaient Bagdad et Erbil.
Cette semaine pourtant, il n’aura fallu que 48 heures aux forces gouvernementales pour reprendre le terrain perdu sans quasiment rencontrer d’opposition.
Elles ont remporté la bataille de Mossoul, « l’un des plus durs combats depuis des décennies, puis elles ont dominé l’EI à Tal Afar et Hawija », se félicitait récemment le colonel Ryan Dillon, porte-parole de la coalition internationale antijihadistes. Certains « disent même qu’elles sont désormais l’une des premières forces de sécurité de la région ».
Et pourtant elles reviennent de loin. Il leur aura fallu des années pour se reconstituer avec l’aide de plusieurs armées occidentales.
Humiliées lors de l’invasion de l’Irak conduite par les États-Unis en 2003, démantelées par le pro-consul américain Paul Bremer qui les considérait comme un outil de l’ex-dictateur Saddam Hussein, elles ont longtemps compté plus d’une moitié de « soldats fantômes », payés mais n’existant que sur le papier, selon un audit.
– ‘Moral bas, corruption, népotisme’ –
Leur état pitoyable éclata au grand jour lors de l’offensive éclair de l’EI en 2014 quand les jihadistes s’emparèrent de près d’un tiers du pays.
« Le moral (des troupes) était très bas » et les forces « souffraient de la corruption et du népotisme de la direction », explique Émile Hokayem, chercheur au centre de réflexion International Institute for Strategic Studies (IISS).
Sous la houlette du nouveau Premier ministre Haider al-Abadi, le gouvernement a alors procédé à des réformes au sein des forces de sécurité et fait revenir des formateurs étrangers, partis en 2011.
La coalition internationale affirme avoir formé, depuis 2015, 119.000 membres des forces des sécurité, dont 43.900 militaires, 20.700 policiers, 14.400 membres des unités d’élite de l’antiterrorisme et 22.800 peshmergas.
Les réformes « considérables » de M. Abadi combinées aux « efforts massifs américains pour armer et soutenir » l’Irak ont fait émerger « une force plus disciplinée et jouissant d’une meilleure cohésion, qui a montré sa capacité militaire sur le champ de bataille », ajoute M. Hokayem.
Pour Jeremy Binnie, rédacteur en chef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’hebdomadaire spécialisé Jane’s defence, trois années de formation et d’approvisionnement de la coalition ont porté leurs fruits.
Mais, ajoute-t-il, « les Irakiens ont probablement aussi amélioré leur manière d’aborder les problèmes de corruption et de faiblesse logistique ainsi que la façon de remonter le moral très bas » des troupes.
En outre, les forces gouvernementales ont été suppléées par le Hachd al-Chaabi. Ces unités paramilitaires qui regroupent plus de 60.000 hommes, pour beaucoup issus de milices chiites soutenues par l’Iran, ont été formées en 2014 à l’appel du plus haut dignitaire chiite du pays pour contrer l’EI.
Jusqu’ici placés sous l’autorité directe du Premier ministre, commandant en chef des armées, la question de leur intégration ou non au sein des forces régulières s’annonce comme le prochain débat brûlant.
– Inverse pour les peshmergas –
Les peshmergas en revanche, souvent présentés comme de redoutables combattants, ont connu le processus inverse, car ce ne sont pas eux qui ont été le fer de lance de la lutte anti-EI en Irak.
Ils n’étaient pas de la bataille dans la ville de Mossoul, s’étant arrêté 30 km plus à l’est. Ni de celle de Tal Afar, ni de celle de Hawija et ils ne participeront pas à la dernière bataille d’Anbar.
Quand en 2014, l’EI s’est approché d’Erbil, ils étaient, comme les forces irakiennes, prêts à fuir avant que l’influent voisin iranien ne leur prête main-forte.
S’ils se sont effacés à Kirkouk, c’est « par manque de cohésion politique », affirme M. Hokayem. « Le combat contre l’EI a éclipsé le dysfonctionnement dans la direction kurde depuis des années », explique le spécialiste.
Par ailleurs, l’image d’Épinal du vieux peshmerga dans sa montagne, coiffé d’un keffieh, longues moustaches, visage buriné et pantalon bouffant, défendant son territoire dans des conditions extrêmes, a vécu.
La nouvelle génération, note M. Hokayem, « n’a ni la cohésion ni la dureté de l’ancienne », car « la stabilité et le développement économique du Kurdistan irakien depuis 2003 ont affecté l’état d’esprit militaire de la communauté kurde ».
En outre, en raison des disputes politiques entre Erbil et Bagdad, depuis 2015 les peshmergas ne reçoivent qu’une demi-solde.
LNT avec Afp