Inégalités, violences, revendications, violation du Code de la famille… Malheureusement le dédain des droits des femmes est un sujet qui tend à devenir trop récurrent dans la presse marocaine, prévisible et facile à documenter.
Pourquoi parler d’elles en leur nom ? Donnons-leur enfin la parole ! C’est ce qu’ont fait les réalisateurs Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova dans le cadre d’un nouveau projet de film documentaire intitulé « Woman » qui verra le jour en 2019.
Pour cela, l’équipe a vu les choses en grand à travers un travail de recherche titanesque et exceptionnel qui nécessitera la réalisation de près de 3000 interviews dans 50 pays. Actuellement en tournage, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec Anastasia Mikova qui a accepté de me dévoiler leur expérience au Royaume chérifien. L’émergence de ce projet dédié uniquement aux femmes découle naturellement de leur dernier film « HUMAN », basé sur deux mille témoignages à travers le globe car partout dans le monde, les voix des femmes les ont particulièrement marqués, bouleversés, alors que leur force intérieure les a impressionné.
Ils ont voulu explorer la régression de la condition féminine notamment dans les sociétés à deux vitesses comme au Maroc où « certaines se libèrent et s’affirment, où elles peuvent travailler, voire gagner d’avantage que les hommes, voter et se faire élire, décider si elles souhaitent ou non avoir des enfants, partager le travail domestique avec leurs compagnons, puis divorcer si elles ne sont plus heureuses dans leur couple, et de l’autre celui où pour elles les choses n’avancent pas, voire régressent ».
Cette expérience au Maroc a mis en exergue un point important : le destin d’une femme dépend encore bien souvent de la mentalité masculine mais aussi du rapport entre elle et les autres femmes de son environnement.
Anastasia Mikova nous confie que « dans une ville cosmopolite comme Casablanca, nous avons rencontré des femmes au parcours exceptionnel telle que Neila Tazi, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers du Maroc qui fut une rencontre marquante pour l’ensemble de l’équipe. Elevée au Etats-Unis avec des codes différents, elle a envie de changer les choses pour son pays où elle se sent presque étrangère. Consciente de sa condition privilégiée, elle n’a aucune limite dans ses combats. Pourtant, ce sont souvent d’autres femmes qui la jugent, considérant qu’une femme n’est pas à sa place à un tel poste. Les mentalités doivent donc changer des deux côtés.
A l’opposé, des femmes lambda évoluant dans un milieu plutôt rural à Chefchaouen rêvent qu’on leur accorde un statut, un vrai, dans leur pénible existence au destin tout tracé avec peu ou pas d’opportunités, mais où paradoxalement elles sont le pilier de leur famille. Il était plutôt aisé de rencontrer ces femmes : dans les rues on ne voit qu’elles ! Elles travaillent, s’occupent des enfants, vont au marché tandis que les hommes passent leur journée dans les cafés. Dans le cadre de ces longs entretiens, elles finissent par oublier les caméras et se confient à travers une introspection intime par rapport à leur corps, leur apparence, leur identité, leur famille, à l’argent, aux hommes et du monde dans lequel elles évoluent. Elles n’ont pas hésité à répondre aux questions et même d’interpeller les journalistes de leur propre initiative pour certaines afin d’envoyer un message fort au gouvernement et à leur famille afin qu’on ne les oublie pas ».
Elle constate d’autre part que la parole des femmes se libère contrairement à il y a une dizaine d’années : « les outils de libérations politiques et sociales tels que les réseaux sociaux, Internet et la télévision ont permis aux milieux les plus reculés du monde de savoir ce qui est possible ailleurs. Aujourd’hui, les femmes n’ont plus peur et n’hésitent plus à témoigner. Conscientes de l’importance et de l’enjeu d’une caméra, certaines interpellent même spontanément les journalistes afin de faire entendre leur voix. Car elles n’espèrent plus un changement venu de l’extérieur. Elles veulent faire partie de ce changement. Et elles veulent le voir aujourd’hui. »
Yann Arthus-Bertrand ajoute « Dans les milliers d’interviews où nous avons voulu aller à l’essentiel, là où un homme mettait souvent en avant son travail, sa réussite professionnelle, une femme nous parlait plutôt de sa famille, de ses enfants, de l’éducation. Peu importe les difficultés auxquelles toutes ces femmes devaient faire face, leur discours était souvent moins égoïste et autocentré. Ces paroles d’humanité, dont nous avons tous tant besoin aujourd’hui, partout dans le monde les femmes les portaient plus que les hommes. Puis, à chaque projection de Human, ce sont surtout les femmes qui viennent me voir. Je sens que le film trouve un écho particulier chez elles, qu’elles y sont plus sensibles ».
En effet, le constat mondial est alarmant : en 2017 les femmes représenteraient 70% de la population la plus pauvre et les 2/3 des analphabètes. Pourtant, à chances égales elles réussissent mieux leurs études que les hommes. Une sur trois subirait des violences au cours de sa vie, elles représenteraient seulement 10% des chefs d’états et un cinquième des sièges parlementaires de la planète.
Le monde conçu par les hommes est au plus mal. Comment expliquer qu’il existe encore des « vierges jurées » en Albanie ou des « basha posh » en Afghanistan obligées de se déguiser en hommes pour avoir des libertés, tandis que d’autres évoluent dans une société égalitaire et exemplaire comme la Finlande mais qui paradoxalement enregistre le taux de suicide le plus élevé d’Europe ?
Incontestablement, l’homme sous plusieurs formes constitue un frein à l’émancipation et la libération de la femme : misogynie, patriarcat, machisme, sexisme etc.
Toutefois, il est important de souligner que la femme constitue aussi un frein à elle-même. Que ce soit dans la sphère publique, professionnelle ou privée, il est important qu’elle sache préserver son identité, son indépendance et ne pas suivre les autres aveuglément. Cela peut se présenter sous plusieurs formes : ne pas se soumettre ou se réduire au silence face à des coutumes et traditions qui nuisent à son épanouissement et intégrité sous prétexte d’une généralité et d’une transmission acquise depuis des décennies. Se délivrer du syndrome de l’imposteur dans le milieu du travail lorsqu’on propose un salaire inférieur à l’homme par exemple. Et surtout, mettre un terme à l’absence de solidarité et aux jalousies face à la réussite des semblables. A toutes les femmes du monde qui me lisent actuellement, sachez que vous représentez la moitié de l’humanité et vous mettez au monde l’autre moitié, alors levez la tête chacune à votre échelle ! Comme disait Ghandi : « la force ne vient pas d’une capacité physique mais d’une volonté indomptable ». Alors imaginez la puissance de votre force commune si celles-ci s’unissaient à l’unisson. C’est peut-être la première clé pour remédier à tous ces fléaux.
Sans prétention aucune, ce film documentaire souhaite délivrer au monde un message simple et universel : « être une femme ne doit plus être une question de chance dans un monde dicté par l’homme. Même si certains préfèrent les considérer comme « le sexe faible », les femmes sont fortes, très fortes. Souvent, ce sont elles qui tirent la famille vers le haut, prêtes à tous les sacrifices pour offrir à leurs enfants une vie meilleure. Les femmes agissent dans l’ombre des hommes. Car derrière la réussite d’un homme, il y a toujours des femmes : sa mère d’abord, puis sa femme ».
Que sait-on de ces femmes de l’ombre au regard singulier sur le monde ? Rendez-vous en 2019 pour écouter et découvrir ce qu’elles ont réellement à nous dire. Merci à Anastasia Mikova et Yann Arthus Bertrand pour ce vibrant hommage hors du commun.
Ihsan OUASSIF