La maire de Barcelone Ada Colau fait une déclaration, le 9 octobre 2017 © AFP JORGE GUERRERO
L’Espagne s’approche mardi de l’inconnu: une possible déclaration d’indépendance de la Catalogne, l’une des plus riches régions du pays, avec un engrenage de rupture vis-à-vis de Madrid aux conséquences incalculables qui inquiètent l’Europe.
Les Catalans, partagés presque à parts égales sur une sécession, et le pays entier n’ont plus qu’une question en tête: Carles Puigdemont, le président séparatiste, va-t-il déclarer unilatéralement l’indépendance de sa région comme il menace de le faire, temporiser ou faire machine arrière?
Cet ancien journaliste de 54 ans, indépendantiste depuis son plus jeune âge, doit répondre à la question lors d’un discours devant le parlement catalan à 18h00 (16h00 GMT) au cours duquel il devrait évoquer les conséquences du référendum d’autodétermination illégal du 1er octobre.
Selon plusieurs médias espagnols, il l’a écrit et ré-ecrit toute la journée de lundi, entouré de ses conseillers, tiraillé sans doute entre les partisans d’un départ sans ménagements et ceux qui craignent que le remède, l’indépendance, soit finalement pire que le mal, la tutelle de Madrid.
« Basta! » lui ont aussi dit des centaines de milliers de Catalans opposés à l’indépendance lors d’une grande manifestation dimanche.
Un terme également employé lundi par la principale organisation patronale, Foment del Treball, après que six des sept entreprises catalanes côtées à l’indice des valeurs vedettes de la bourse ont décidé de transférer leur siège social hors de la région.
Mais son camp l’a encouragé à persévérer, avec une grande manifestation prévue aux abords du parlement.
L’avenir d’une région grande comme la Belgique, riche de 7,5 millions d’habitants, et au-delà le destin de tout un pays qui se jouera mardi soir lors de ce discours, sous le regard inquiet du reste de l’Europe, ébranlée par le Brexit de 2016.
– Ne pas perdre la face –
L’ordre du jour officiel de la séance du parlement catalan porte sur la « situation politique » après le « référendum » que les séparatistes catalans affirment avoir remporté avec 90% des voix et un taux de participation de 43%.
Carles Puigdemont pourrait aussi choisir une voie médiane, une « déclaration d’indépendance en différé », ou se contenter d’une proclamation symbolique, évoquant l’urgence d’un dialogue, et enclenchant un processus par étapes, pour ne pas perdre la face.
Ses dernières paroles sur le sujet proviennent d’un documentaire diffusé dimanche par la télévision publique catalane dans lequel le leader séparatiste répète que, faute de médiation, les indépendantistes feront « ce que nous sommes venus faire ».
A Madrid, le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy a prévenu qu’en cas de déclaration unilatérale d’indépendance il pourrait chercher à suspendre l’autonomie de la région, une mesure jamais appliquée dans cette monarchie parlementaire extrêmement décentralisée.
Il a d’autres instruments à sa disposition, puisqu’il a déjà pris le contrôle des finances de la région en septembre. Il peut aussi instaurer un Etat d’urgence allégé lui permettant d’agir par décret.
– Fantômes du passé –
La justice pourrait elle agir contre Carles Puigdemont et le noyau dur d’indépendantistes qui a organisé le référendum et planifie depuis des mois « l’indépendance ». Mais toute mesure drastique risque de provoquer des troubles en Catalogne, où huit électeurs sur dix auraient souhaité un référendum en bonne et due forme. La tension et les émotions y sont déjà fortes, même si la plupart des manifestations sont pacifiques.
Elle l’est également dans toute l’Espagne où les vieux fantômes du passé ressurgissent quand parmi les « patriotes » défendant l’unité de l’Espagne se glissent des nostalgiques de la dictature de Francisco Franco (1939-1975). Comme pour le référendum écossais en 2014 ou le vote pour le Brexit en 2016, le sujet divise les foyers. « J’ai un cousin là-bas (en Catalogne), il y a des réunions de famille auxquelles il n’assiste plus », pour éviter les discussions, raconte à l’AFP un haut responsable gouvernemental.
De nombreuses questions demeurent aussi sur la réalisation d’une telle indépendance. La région a bien la main sur l’éducation, la santé, la police.
Mais, outre les finances, le contrôle de l’espace aérien, des infrastructures (ports, aéroports, réseau ferroviaire, télécommunications…) et de l’armée reste entre les mains de l’Etat.
Et L’Union européenne ne reconnaîtrait pas cet Etat, qui en serait immédiatement exclu.
« Une déclaration unilatérale d’indépendance ne peut avoir de conséquences en tant que telle. Ce n’est qu’une déclaration pour être reconnue comme Etat par les autres », a notamment assuré Jean-Claude Piris, ancien directeur des services juridiques du Conseil de l’Europe.
LNT Avec Afp