Un jour après les téléspectateurs de 2M, ceux qui ont l’habitude de regarder France 2 ont également eu la chance de visionner le magnifique film de Yann Arthus-Bertrand, « le Maroc vu du ciel ».
Mais contrairement à la programmation de la chaîne marocaine, ce film a été suivi d’un second, de la même veine et du même cinéaste, « l’Algérie vue du ciel ».
Il est vrai que France 2, tout comme le président Macron, cherche à respecter un équilibre subtil entre le Royaume et son voisin de l’Est, ce qui explique cette double démarche, très « diplomatique ».
Un exercice que l’on ne regrettera pas au demeurant parce que ces deux documentaires proposent des paysages d’une beauté à couper le souffle, au Maroc comme en Algérie.
Yann Arthus-Bertrand signe avec ces deux films, deux réalisations magistrales et « vus du ciel », ces deux pays sont caractérisés par une pluralité de paysages, de sites, de vestiges, (romains, préhistoriques ou autres) qui sont de formidables incitations pour les voyageurs désireux de découvrir des splendeurs qui, sans nul doute, n’ont jamais eu aussi belle promotion !
Mais ces deux films sont également du plus grand intérêt par les textes qui l’accompagnent.
Des textes ciselés par deux grands noms de la presse et de l’image, le maroco-français Ali Baddou et l’algéro-français Yazid Tizi.
Arthus-Bertrand explique d’ailleurs à leur propos qu’il les a laissés entièrement libres de leurs commentaires.
Force est de reconnaître que le résultat est très réussi parce que Baddou et Tizi, chacun dans leur registre, expriment avec force, l’amour, le respect et l’attrait que leurs pays d’origine suscitent en eux, pour le plus grand profit du téléspectateur, pour une trop rare fois comblé par l’image et le son !!!
Mais on constate également que si les deux auteurs commentent avec passion la diversité et la beauté des paysages dont ils ont respectivement la charge, la réalité des situations politique, sociale, économique, infrastructurelle, s’invite forcément dans leurs commentaires.
L’image ne triche pas !
Ainsi, Ali Baddou, qui souligne avec fierté ses origines marocaines, (Fès et Meknès), ses épisodes r’batis, ses amours marocaines, introduit des jugements et des prises de positions servis par les images de Yann Arthus-Bertrand.
Lorsque ce dernier survole le magnifique pont à hauban sur le Bou-Regreg, le plus long d’Afrique, c’est toute la démarche de développement des infrastructures de base engagée depuis le début du règne du Roi Mohammed VI qui est ainsi mise en valeur, comme également la zone franche de Tanger-Med ou encore le formidable essor de la construction et de l’immobilier.
Images qui défilent à l’appui, on voit également la magnifique chaîne de l’Atlas et ses vallées, les Kasbahs du Draa, les coupoles vertes de Moulay Yacoub ou les plages d’Asilah et d’Essaouira, les buildings modernes de Casablanca et les espaces verts de Rabat, etc., etc.
Mais Ali Baddou ne peut s’empêcher de relater les progrès accomplis par ce « Maroc qui bouge », qui pratique un Islam de tolérance, qui garantit le libre exercice du culte aux religions révélées et qui compte dans sa construction identitaire, l’apport de la communauté juive marocaine.
Le talentueux auteur nous montre également la centrale Noor près de Ouarzazate, évoque les énergies renouvelables, éoliennes à l’appui, et prouve, grâce à Arthus-Bertrand, que le Sahara marocain est une zone de développement et de création de richesses d’abord et avant tout au bénéfice de ses habitants, les populations de Dakhla ou de Laâyoune, qui ont largement oublié aujourd’hui leur statut de nomades.
Le film « le Maroc vu du ciel » est à cet égard formidablement révélateur des avancées accomplies par le Royaume depuis deux décennies et on ne saurait accuser le réalisateur de partialité, car les images sont « brutes » et aussi « parlantes » que les commentaires de Ali Baddou !
Un Ali Baddou qui ne se prive pourtant pas d’alerter sur l’épuisement de la nappe phréatique de Dakhla, la nécessité de promouvoir les droits de la Femme, la parité dans l’éducation, etc.
La beauté des sites, mais…
C’est un exercice identique que celui réalisé avec Yazid Tizi et on précisera que « L’Algérie vue du ciel » a été réalisé en 2015, diffusé d’ailleurs à cette époque sur les chaînes de télévision hexagonales.
Indéniablement, l’Algérie est un pays de grande diversité de paysages et de situations, où les sites de toute beauté se comptent par centaines, où les ruines romaines sont parmi les plus grandes et les mieux conservées, où les richesses du Sahara algérien sont des invites formidables à la découverte de trésors, préhistoriques notamment.
Mais la caméra de Yann Arthus-Bertrand ne peut s’empêcher d’être ce qu’elle est, un révélateur sans fard, ni concession, de la réalité de l’Algérie d’aujourd’hui. Et notamment lorsqu’elle filme la Kasbah surpeuplée d’Alger et son délabrement indéniable, le triste état de Bab El Oued ou les abords de la Poste, seul point de repère pour « Alger la Blanche », qui ne mérite plus ce qualificatif.
Yazid Tizi est bien à la peine pour éviter de dire ce qu’il voit et ce que nous savons tous, une Algérie qui importe plus de 90 % de sa consommation, dans l’alimentaire, les biens d’équipements, les voitures, etc.
Une Algérie qui ne peut que montrer sa dépendance envers sa monoproduction pétrolière et gazière, qui oublie les énergies non-fossiles, alors que Yazid Tizi nous montre des complexes industriels vieux de cinquante ans, comme celui d’Arzew !
Quant à Oran vue du ciel et commentée par Tizi, c’est surtout une toute petit image de modernité, celle d’une seule façade d’un building, et tout le reste consacré à la période coloniale, au Raï, à la présence des Espagnols, des pieds noirs, des colons qui mirent en valeur les exploitations de la Mitidja.
Ce qui frappe d’ailleurs dans le texte de l’auteur algéro-français, c’est la constante évocation de la période où l’Algérie était département français, avec bien sûr, les meurtrissures encore vivaces de la guerre de libération du peuple algérien, mais aussi le legs du système colonial dans un pays qui, cinquante années plus tard, en ressent encore l’empreinte !
L’Algérie vue du ciel, c’est la construction de la grande mosquée d’Alger par des « maçons » chinois, ce sont les transferts d’argent de l’Hexagone, 4 milliards d’euros annuels officiellement et 7 milliards d’euros au « black ».
C’est la complainte des pêcheurs d’Alger qui n’ont plus de poissons dans leurs filets, ce sont les maigres performances de la céréaliculture qui exportait vers la France du blé par millions des tonnes avant l’indépendance, etc.
Yazid Tizi, avec honnêteté et lucidité, explique, décrit, justifie, comprend, mais ne peut cacher ce que révèle la caméra.
Voilà pourquoi, au final, les deux films de Yann Arthus-Bertrand sont si proches et si différends.
Car l’image, seule, ne peut et ne saurait mentir, quelle que soit la qualité du commentaire…
Fahd YATA