Cheikh Sene, co-fondateur de la start-up Weebi le 23 mars 2017 à Dakar © AFP/Archives SEYLLOU
Debout devant ses rayons de marchandises, Amadou Bousso tapote sur son smartphone et, aussitôt, un reçu sort d’une micro-imprimante sur le comptoir. Au Sénégal, des outils numériques permettent aux commerçants du secteur informel omniprésent de sécuriser leurs données et de mieux suivre leur clientèle.
Amadou Bousso est un utilisateur de « Weebi », une application destinée aux commerces de proximité (boutiques alimentaires, restaurants, grossistes, blanchisseurs …). Elle a été distinguée au sommet Afrique-France en janvier à Bamako, lors d’un concours d’innovations numériques lancé par l’Agence Française développement (AFD) et Bpifrance, la banque publique d’investissement française.
Des solutions de ce type visent à offrir aux innombrables petits commerçants, qui n’ont souvent pas les moyens ou le niveau d’instruction pour utiliser des technologies plus élaborées, des outils alliant simplicité, coût abordable et fiabilité.
La mésaventure vécue en 2015 par un boutiquier d’origine guinéenne, à l’origine de « Weebi » selon ses créateurs, est un véritable cas d’école des risques de la comptabilité traditionnelle.
« J’enregistrais des données de clients quand de l’huile s’est renversée sur le cahier » où sont tenus les comptes, raconte Amadou Bawol Bah. Il dit avoir frôlé la ruine, ne parvenant pas à retracer ses opérations, dans un pays où les ménages achètent généralement à crédit et paient à la fin du mois.
C’est de là qu’est née l’idée de « créer une solution pour la sauvegarde des données des clients », explique Cheikh Sène, cofondateur et directeur commercial de cette start-up fondée avec deux autres Sénégalais et un Français.
« Weebi » – qui signifie facile en langue peule, parlée dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, notamment parmi les commerçants – « simplifie les ventes et la facturation. La tablette et le smartphone remplacent le cahier et le stylo », ajoute-t-il. Une imprimante, pour les reçus, complète l’équipement.
– Exploitation des données –
Sur un créneau voisin, une autre solution, « Somtou » est en train d’émerger. Ce terminal est « un outil de gestion à destination des micro-entrepreneurs », explique Ted Boulou, son fondateur camerounais, il « permet aux acteurs du secteur informel de mieux gérer leurs activités, d’avoir une idée plus précise sur leurs revenus, leur chiffre d’affaires, leurs clients ».
« Nous leur apprenons la comptabilité analytique. On regarde les informations pour les transformer en actions concrètes, en leur conseillant par exemple un prix de revient ou une promotion à tel client » en fonction de l’activité, ajoute M. Boulou.
En outre, les données collectées peuvent être utilisées par des institutions, pour des enquêtes ou un financement par exemple, mais avec l’accord préalable des commerçants concernés, assure-t-il.
Marième Assiétou Diagne, qui gère une entreprise de livraison de cuisine diététique, utilisatrice de Weebi depuis quelques mois, y voit « un gain de temps et un gain financier ».
« Cela nous permet aussi de faire un suivi client, de savoir quels clients sont réguliers, le nombre de commandes, et aussi combien de plats on sort par jour », souligne-t-elle. « Et aussi de pouvoir récompenser chaque fin du mois les clients les plus fidèles ».
– Accessible au plus grand nombre –
Le coeur de cible visé par « Weebi » et « Somtou » est immense au Sénégal, où le commerce informel est prépondérant, comme dans de nombreux pays africains.
Selon le Recensement général des entreprises (RGE) du Sénégal, publié à la fin du premier trimestre 2017, sur quelque 407.000 « unités économiques » (allant des micro-entreprises aux grands groupes) dénombrées dans le pays, plus de la moitié exercent leur activité dans le commerce.
Or « plus de 96% sont des entreprises individuelles et 97% des unités économiques recensées sont informelles », selon cette enquête réalisée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), à partir des données de 2015.
« Weebi » et « Somtou » s’adaptent aux besoins de la clientèle potentielle, souvent analphabète, selon leurs concepteurs.
Ainsi, pour « Somtou », l’appareil se compose « d’un socle en bois dans lequel on va mettre du matériel électronique, un écran tactile, un clavier numérique, le micro pour la reconnaissance vocale », détaille Ted Boulou.
Afin de pouvoir être manié aussi bien par des utilisateurs diplômés qu’illettrés, explique-t-il, les créateurs de « Somtou » ont « pris le pari de faire un outil qui est sans texte, basé uniquement sur la voix et la reconnaissance vocale ».
– Les premiers pas –
Le développement des deux start-ups est encore balbutiant.
« Weebi », actuellement limité à Dakar, compte une quarantaine d’installations de l’application, téléchargeable à partir d’une plate-forme pour 55.000 FCFA (plus de 76 euros), avec l’imprimante, voire plus du double pour une « boîte » complète, avec tablette et socle, indique Cheikh Sène.
La commercialisation de « Somtou » a débuté en mai, par une dizaine d’appareils à Dakar et à Rufisque, près de la capitale, selon Ted Boulou, avec un échelonnement du paiement en fonction des moyens de chacun.
« Certains vont payer 13.000 FCFA (20 euros) par mois pendant deux ans, ou 500 FCFA (75 centimes) par jour pendant deux ans ou payer une seule fois 275.000 FCFA (420 euros). Une centaine de commandes » sont déjà enregistrées, précise-t-il.
LNT avec AFP