Le président américain Donald Trump à Miami, en Floride, le 16 juin 2017 © AFP MANDEL NGAN
La Havane – En annonçant l’interdiction des transactions avec des entités contrôlées par l’armée cubaine, Donald Trump vise au cœur du régime de Raul Castro, qui a confié aux militaires des pans entiers de l’économie de l’île.
Vendredi, M. Trump a interdit aux entreprises américaines de commercer avec le Groupe d’administration d’entreprises (Gaesa), puissant conglomérat de l’armée qui contrôle notamment une partie de l’industrie touristique cubaine, actuellement en plein essor.
Ce groupe, qui opère dans de multiples secteurs, matérialise l’omniprésence de l’armée dans l’économie cubaine, qui a pris racine dans les années 1990.
A l’époque, la chute du grand frère soviétique et la fin des subsides de Moscou avait provoqué un besoin urgent de devises. Les frères Castro avaient alors su s’arroger la fidélité de l’armée en lui confiant les rênes de secteurs économiques clés.
Cette emprise a débuté avec la création de l’Union des entreprises militaires (UEM) pour entretenir et fabriquer localement l’armement cubain, puis celle du groupe touristique Gaviota, censé coordonner et contrôler l’ouverture du pays au tourisme avant la création d’autres groupes touristiques civils, tels que Cubanacan ou Gran Caribe.
Laboratoire d’expériences visant à augmenter la productivité, l’UEM s’est rapidement transformé en Gaesa. Peu auparavant, le ministère de l’Intérieur avait monté de son côté le Cimex. Ce groupement de dizaines d’entreprises s’était spécialisé dans la création de sociétés-écran, vouées à déjouer les restrictions de l’embargo économique américain imposée à l’île communiste depuis 1962.
Le conglomérat a ensuite coiffé Gaviota, mais aussi le groupe de grande distribution TRD, l’administration du terminal de conteneurs du méga-port de Mariel (ouest de La Havane) et le groupe financier Rafin, co-propriétaire du monopole des télécommunications Etecsa.
Figure de proue du Gaesa, Gaviota détient plus de 50 hôtels (40% de l’infrastructure hôtelière d’Etat de l’île), cinq marinas, plus de 25 restaurants, une compagnie aérienne éponyme et plusieurs compagnies de taxis et de location de véhicules.
Sous la férule de Raul Castro, sont plus récemment passés dans le giron du Gaesa la holding Cimex, la Banque financière internationale et Habaguanex, propriétaire de nombreux restaurants et hôtels dans la vieille Havane.
– Opacité problématique –
Ce conglomérat reste très opaque et aucun registre officiel recensant les entités qu’il contrôle n’est disponible à Cuba. Détail éloquent: l’immeuble censé abriter la maison mère de Gaesa, dans l’ouest de La Havane, ne porte aucune enseigne.
« Sans enseignes indiquant les entreprises liées aux FAR à Cuba, il sera difficile (pour les entreprises américaines) de ne pas violer les mesures » de Donald Trump, ironisait vendredi dans un tweet Sergio Gomez, un responsable du quotidien officiel cubain Granma. Le Gaesa est dirigé par le général Luiz Rodriguez Lopez-Callejas, membre du comité central du Parti communiste cubain (PCC) et gendre de Raul Castro. Cet homme très discret, goûtant peu la lumière, reste inconnu de la plupart des Cubains.
« Vu la présence des militaires cubains dans de nombreuses activités productives, il est difficile d’imaginer que les liens commerciaux entre les deux pays puissent être très étendus », observe de son côté Jorge Duany, directeur de l’Institut des recherches cubaines de l’université de Floride.
L’expert relève qu’il « a été dit que le gouvernement américain élaborerait une liste des entreprises cubaines qui dépendent majoritairement des forces armées », avant d’appliquer ces mesures qui entreront en vigueur dans les prochains mois.
Mais l’économiste cubain Pavel Vidal, de l’université Javeriana de Cali, souligne l’ampleur et la difficulté de la tâche et estime qu’il faudra attendre de « voir comment vont être appliquées les nouvelles mesures pour évaluer leur efficacité ».
Selon M. Vidal, les restrictions de Donald Trump devraient à terme contraindre les autorités cubaines à « trouver une parade pragmatique de manière immédiate » à l’omniprésence de l’armée dans l’économie, qui « devait être corrigée à un moment ou à un autre ».
Parmi les experts, deux options principales sont avancées: dissoudre le Gaesa et faire passer ses entités sous contrôle civil, ou le convertir en conglomérat civil. Mais cette dernière solution obligerait le conglomérat à faire preuve de plus de transparence, souligne M. Vidal.
LNT avec AFP