Un homme porte une tenue traditionnelle nigériane, le 2 juin 2017 à Lagos © AFP PIUS UTOMI EKPEI
Dans ses clips bling-bling où shorts moulants côtoient bouteilles de champagne et grosses voitures, Wizkid, l’icône de la pop nigériane, a troqué ses jeans, ses caleçons apparents et ses T-shirts Versace pour des tenues traditionnelles: la nouvelle tendance pour la jeunesse de Lagos.
En 2016, Vogue, magazine leader de la mode, l’a élu « chanteur pop le mieux habillé du Nigeria »: un titre particulièrement convoité et exigeant dans ce pays où l’apparence est reine et la concurrence, à tous les coins de rue.
L’agbada yorouba (immense tunique de trois épaisseurs), le ‘Niger Delta’ igbo (chemise brodée avec un col Mao), ou le babariga haoussa (longue tunique sahélienne avec chapeau asymétrique brodé) étaient, comme souvent en Afrique, considérés comme des tenues pour les anciens ou ruraux.
Mais depuis quelques années, on porte le « trad » (vêtement traditionnel) au bureau, aux mariages, en rendez-vous d’affaires et surtout, dans les clips de musique et en boîtes de nuit.
« C’est le must maintenant », confiait Wizkid au magazine Vogue.
« Quand je suis à Lagos, je porte uniquement des tissus africains. J’achète des tissus du Nord (du Nigeria), du Sud, de l’Ouest, et je les mélange », explique le musicien, érigé demi-dieu de la musique nigériane à 26 ans.
Par manque d’espace, les centres commerciaux manquent cruellement dans la mégalopole de 20 millions d’habitants. Les magasins de prêt-à-porter sont rares ou difficiles d’accès.
Et avec la récession économique et la chute vertigineuse du Naira, finies les virées shopping à Dubaï, Paris ou Milan. Même les plus riches doivent se contenter de l’offre locale, et la cote des tailleurs de rue explose.
– ‘Le Peul, je kiffe’ –
En 2012, Omobolaji Ademosu, alias B.J., a abandonné son emploi dans une banque pour monter sa propre ligne de vêtement pour hommes, Pro7ven. Dans deux minuscules ateliers d’Ojodu, à la périphérie de Lagos, sa douzaine d’employés découpent, cousent, repassent et enchaînent les commandes au son du générateur à diesel.
B.J. fait de la mode « africaine contemporaine »: de magnifiques agbadas à peine plus resserrés à la taille que le veut la tradition, brodés à l’encolure, qui peuvent se vendre jusqu’à 150.000 nairas (420 euros).
« Le trad, c’est swag. D’un jour à l’autre, je peux mettre du Igbo, du Yorouba, même le Peul (tribu nomade du Nord), je kiffe! C’est l’esprit multiculturel de Lagos, il n’y pas de barrière », sourit B.J..
Lors de rendez-vous professionnels avec un homme politique ou un chef d’entreprise important, s’habiller dans la tenue ethnique de votre interlocuteur est un signe de respect qui peut rapporter gros. Ou du moins, des contrats importants.
Avec plus de 500 groupes ethniques, le Nigeria est particulièrement attaché à ses valeurs traditionnelles. Une fierté qui commence d’ailleurs à dépasser les frontières du pays.
Début mai, le sud-africain Mbuyiseni Ndlozi, porte-parole de l’EFF (Economic Freedom Fighters, parti de la gauche radicale), postait une photo de lui sur Instagram habillé en ‘Niger Delta’ sombre, chapeau et collier en perles rouges portées originellement dans le sud-est du Nigeria.
Son fan club féminin, particulièrement nombreux, s’est empressé de commenter en émojis coeurs, appelant affectueusement le sud-africain « Igwe »: Prince Igbo.
– Princes africains 2.0 –
« Même à Paris, les jeunes de la diaspora veulent se présenter comme des princes africains maintenant », s’étonne Nelly Wandji, propriétaire de Moon-Look, une boutique de mode africaine sur le Faubourg-St-Honoré de Paris.
De passage à Lagos, elle est venue dénicher les nouvelles tendances sur le continent. « Le Nigeria est clairement le leader de la mode (africaine) en terme de style, de créativité et en nombre de designers reconnus », explique-t-elle.
« La Lagos Fashion week a détrôné celle de Johannesburg. Les Nigérians sont restés beaucoup plus authentiques, ils sont restés très +African Pride+ alors qu’en Afrique du Sud, on est finalement très européanisé ».
Française d’origine camerounaise, Nelly Wandji explique d’ailleurs cette influence, paradoxalement, par la diaspora africaine, dont les Nigérians sont les grands ambassadeurs par leur nombre. « Les jeunes de la diaspora sont les prescripteurs de la mode africaine, ils ont réapproprié leur culture et la rendent tendance, parce qu’elle est vue en Europe ou aux États-Unis. »
Gloria Odiaka, la petite cinquantaine, est l’heureuse propriétaire d’un magasin de tissus de luxe à Lekki, quartier de la jeunesse branchée de Lagos. Et une mère de famille comblée.
« Les jeunes hommes s’habillent maintenant en +natif+, et c’est tant mieux parce que ça les rend beaux! », s’enthousiasme-t-elle. « Mes fils étudient au Canada, et quand je vais leur rendre visite ils me disent +s’il-te-plaît, maman, ramène-nous des +trad+, j’en ai ma claque des T-shirts canadiens+. »
Il ne reste plus aux Nigérians qu’à inventer le « trad » adapté aux hivers d’Ottawa pour conquérir le Grand Nord.
LNT avec AFP