Des avions allemands Tornado à la base d'Incirlik, le 21 janvier 2016 en Turquie © POOL/AFP/Archives TOBIAS SCHWARZ
Le gouvernement allemand a décidé mercredi de retirer ses troupes déployées sur la base turque d’Incirlik et de les transférer en Jordanie, dernier épisode de la profonde crise dans les relations germano-turques.
« Nous allons déplacer les avions en Jordanie », a annoncé à la presse la ministre de la Défense Ursula Von der Leyen à la sortie du conseil des ministres, deux jours après les dernières discussions infructueuses entre Berlin et Ankara sur ce sujet.
La Turquie a maintenu lundi son interdiction faite aux parlementaires allemands de se rendre sur cette base de l’Otan où quelque 260 soldats de la Bundeswehr participent aux opérations de la coalition internationale contre le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.
Berlin a donc décidé de redéployer ses militaires sur la base d’Azraq, en Jordanie, ainsi que 10.000 tonnes de matériel réparties dans environ 200 conteneurs, un défi logistique dont le calendrier et les modalités ne sont pas encore précisément fixées.
Ce transfert impliquera une interruption des interventions allemandes, d’au moins « deux ou trois semaines » pour l’avion ravitailleur de la Bundewehr et de « deux à trois mois » pour les missions de reconnaissance des avions Tornado au-dessus des territoires contrôlés par les jihadistes, a averti Mme Von der Leyen.
– Azraq moins sûre ? –
La ministre conservatrice, proche de la chancelière Angela Merkel, doit encore s’accorder avec ses partenaires de l’Otan pour savoir à quel moment lancer l’opération, et décider qui prendra le relais des Allemands « pour éviter tout préjudice » durant l’intervalle.
Sur le plan interne, le gouvernement allemand n’est légalement pas tenu de saisir le Bundestag, la chambre des députés, puisque le mandat voté pour la participation aux opérations anti-EI ne mentionne pas explicitement la base d’Incirlik plutôt qu’un autre lieu.
Mais la plupart des médias s’attendent à un débat au Bundestag pour des raisons politiques, la Bundeswehr étant considérée comme « une armée parlementaire ». L’agence allemande DPA évoque une probable « résolution », sans caractère contraignant, le 21 juin au plus tôt.
Tous les groupes parlementaires sont favorables au retrait d’Incirlik et les premiers commentaires de députés portent sur des points secondaires: le parti social-démocrate a relevé la situation moins sûre et pratique d’Azraq, qui implique le survol de pays non membres de l’Otan, tandis que la gauche radicale réclame un retrait allemand pur et simple des opérations anti-EI.
L’affaire d’Incirlik a provoqué un regain de tension entre Ankara et Berlin, deux partenaires au sein de l’Alliance atlantique dont les relations se sont considérablement dégradées au cours des derniers mois, notamment depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016.
– Turbulences –
A la mi-mai, la Turquie avait justifié l’interdiction faite aux députés allemands de visiter Incirlik en reprochant à Berlin d’avoir accordé l’asile politique à des ressortissants turcs, dont des militaires, accusés par le président Recep Tayyip Erdogan d’être liés à la tentative de coup d’Etat.
Les relations entre les deux partenaires historiques traversent régulièrement des zones de turbulences.
Les rapports s’étaient fortement tendus au début du printemps, lorsque des villes allemandes avaient interdit la tenue de rassemblements de campagne pour le renforcement des pouvoirs de M. Erdogan lors d’un référendum en avril.
Autre sujet de tension, le cas de Deniz Yücel, un journaliste binational incarcéré depuis février en Turquie où il est accusé d' »espionnage » et d’activités « terroristes ».
Au grand dam du gouvernement turc, les dirigeants allemands font épisodiquement part de leur préoccupation sur la situation des droits de l’Homme en Turquie, en particulier depuis le putsch manqué de juillet.
Après le coup de force, Ankara a lancé des purges d’une ampleur inédite : quelque 50.000 personnes ont été arrêtées et plus de 100.000 limogées ou suspendues.
Des centaines d’autres ont fui à l’étranger, notamment en Allemagne, et le gouvernement turc demande avec insistance leur extradition.
LNT avec Afp