L'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, le 6 décembre 2016 à Manama, à Bahreïn © AFP STRINGER
Vraies ou fausses, les déclarations controversées prêtées à l’émir du Qatar ont ravivé les tensions au sein du club des monarchies arabes du Golfe qui s’étaient récemment apaisées.
Cette affaire révèle « une sérieuse fracture entre deux camps dans le Golfe », estime Christopher Davidson, expert de la Durham University en Grande-Bretagne.
Elle remet en cause le rapprochement opéré ces derniers mois entre le Qatar, souvent accusé de jouer en solo et d’avoir des ambitions diplomatiques démesurées, et ses voisins, dont l’Arabie saoudite, le poids lourd du Golfe.
Le riche émirat gazier tente de limiter les dégâts depuis la divulgation mercredi de déclarations attribuées à son émir, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Doha a ainsi affirmé que ces propos étaient des faux diffusés par son agence de presse victime d’une cyberattaque.
Mais cette version des faits n’est pas crue par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, les deux piliers du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont fait partie le Qatar.
Composé également de Bahreïn, d’Oman et du Koweït, le CGC avait été fondé pour faire face à l’Iran, après la révolution islamique de 1979 et sert depuis à renforcer la coopération entre ses six pays membres.
Dans la version contestée par Doha, l’émir qatari dit ne pas partager l’hostilité envers l’Iran et le Hamas palestinien, évoque des « tensions » entre son pays et Washington et suggère que le président Donald Trump pourrait ne pas aller au bout de son mandat.
Pour des analystes, l’affaire dépasse le cadre d’une simple cyberattaque et met, une nouvelle fois, le Qatar en opposition directe avec ses rivaux arabes. Avec le risque d’une nouvelle crise ouverte, comme en 2014 lorsque des membres du CCG avaient rappelé leurs ambassadeurs à Doha pour protester contre le soutien présumé du Qatar aux Frères musulmans.
Une telle évolution « va dépendre si l’affaire enfle ou s’apaise tranquillement » dans les prochains jours, indique Kristian Ulrichsen, de la Rice University.
Mais « le blocage en Arabie saoudite et aux Emirats des sites internet d’Al-Jazeera et la télévision du Qatar laisse supposer que de profondes tensions persistent », explique-t-il à l’AFP.
Depuis mercredi, des sites web et des retransmissions télévisées qataris sont en effet bloqués dans divers pays du Golfe.
– ‘du mauvais côté’ –
Pour M. Ulrichsen, « il se peut que l’Arabie saoudite et les Emirats se sentent enhardis par le succès de leur nouvelle alliance avec l’administration Trump et qu’il veuillent renforcer leur poids sur les affaires de la région ».
Lors de ses rencontres avec les dirigeants du Golfe à l’occasion de sa récente visite à Ryad, le nouveau président américain a esquissé les contours de sa politique au Moyen-Orient.
Il a insisté sur sa volonté, partagée par l’Arabie saoudite et Israël, de faire face aux « agressions » de l’Iran et de s’attaquer aux extrémistes islamistes.
Une telle politique peut marginaliser le Qatar qui accueille l’ex-chef du Hamas, Khaled Mechaal, un bureau des talibans afghans et qui est accusé de maintenir son soutien aux Frères musulmans.
Les rivaux du Qatar « tentent de dépeindre le Qatar comme se tenant du mauvais côté de l’alliance endossée par Trump et menée par l’Arabie saoudite dans la région », souligne M. Davidson. Cette alliance s’apparente, selon lui, à un « rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël contre le Hamas ».
Le chef de la diplomatie du Qatar, cheikh Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani a tenté de minimiser le différend en déclarant que Doha n’y voyait pas « une grosse affaire » et que l’enquête allait déterminer l’origine de la cyberattaque.
Mais cette affaire enflamme les réseaux sociaux dans les deux camps, ce qui ajoute à la tension.
Pour l’avenir, le rapprochement marqué entre M. Trump et les rivaux du Qatar dans la région s’annonce comme un casse-tête diplomatique pour Doha.
« Il semble que l’Arabie saoudite et les Emirats vont bénéficier, sous l’administration Trump, de privilèges en matière de sécurité, et vont promouvoir les priorités de la politique américaine dans la région », prédit M. Ulrichsen.
LNT avec Afp