Au centre, M. Nicolas Blancher, chef de la mission de consultation du FMI
Pour « commencer l’année 2017 en beauté », www.lanouvelletribune.com publie ci-dessous un entretien réalisé avec M. Nicolas Blancher, Chef de la mission de consultation du Fonds monétaire International, FMI, qui avait séjourné dans le Royaume en décembre dernier.
Cet entretien permet de mesurer avec précision les différentes appréciations portées par le FMI sur les politiques économique, financière et budgétaire du Maroc, positivement évaluées au demeurant par cette institution financière mondiale.
On retiendra néanmoins que l’économiste Nicolas Blancher considère que la politique de réformes engagée par le Royaume doit être impérativement poursuivie, et même approfondie, alors que l’emploi est au plus mal, que la Femme marocaine est marginalisée et que les déficiences structurelles perdurent, (Education, Santé, Logement, etc.).
Mais pour le « missus dominicus » du FMI, un optimisme de bon aloi est de raison, notamment parce que le Maroc est engagé dans une judicieuse politique d’externalisation, notamment portée par les banques marocaines et que la décision d’une libéralisation maîtrisée, ordonnée et progressive du régime des changes paraît parfaitement appropriée au FMI.
Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune :
Quelle évaluation le FMI fait-il de sa relation avec le Royaume du Maroc depuis le début de la présente décennie, lequel a coïncidé avec les premiers effets importés de la crise financière et économique née aux Etats-Unis en 2007-2008 ?
M. Nicolas Blancher :
Comme beaucoup de pays, le Maroc a eu à faire face aux conséquences de la crise mondiale au début de cette décennie. Dans un contexte international difficile, il est parvenu à engager des politiques économiques courageuses qui ont renforcé la résilience de son économie.
Le FMI offre au Maroc, comme à tous ses États membres, ses diagnostics et conseils en matière de politiques économiques et financières. Dans le cas du Maroc, le soutien du FMI au programme économique des autorités a aussi pris la forme d’une Ligne de Précaution et de Liquidité, qui est en quelque sorte une assurance contre les chocs extérieurs. Nous nous félicitons que ce soutien ait été utile aux autorités marocaines, qui en ont demandé le renouvellement à deux reprises, tout en n’ayant pas besoin d’activer cette ligne de financement.
Quelle appréciation portez-vous sur l’engagement du Maroc dans la politique de réformes structurelles souhaitées par le Fonds Monétaire international ?
Notre appréciation des reformes engagées par les autorités marocaines ces dernières années est positive. La situation économique du Maroc s’est améliorée: les déficits se sont réduits, l’inflation est demeurée faible, et la diversification des exportations a permis de réduire la vulnérabilité aux chocs extérieurs. Les marges de manoeuvre budgétaires accrues permettent de donner davantage la priorité au renforcement des conditions de la croissance et de la création d’emploi, en particulier à travers les dépenses d’investissement et les dépenses sociales en matière de santé, d’éducation et de formation professionnelle.
Au plan structurel, des reformes importantes ont été mises en œuvre dans le sens d’une amélioration de l’environnement des affaires, qui est essentielle pour accroître le dynamisme du tissu industriel et des PMEs. Des stratégies ambitieuses ont été initiées, comme par exemple en matière de diversification industrielle, de lutte contre la corruption, ou d’emploi.
Cependant, la route est encore longue pour mettre pleinement en valeur les potentiels du pays et réduire de manière plus décisive le chômage et des inégalités. La pauvreté au Maroc s’est réduite au cours des dix dernières années, mais elle demeure importante dans les zones rurales. Le chômage structurel est élevé, en particulier parmi les jeunes et les diplômés et le taux de participation des femmes est faible et en diminution. Les réformes doivent donc se poursuivre, voire s’accélérer, afin d’améliorer la fiscalité, de réformer le système éducatif, de lutter contre la corruption, de renforcer le fonctionnement du marché du travail, et d’accroître la participation des femmes dans la population active.
Dans ses projections de croissance du PIB faites pour le Maroc, le FMI est régulièrement amené à réviser ses prévisions, le plus souvent à la baisse d’ailleurs. Sachant que le PIB global est fonction des performances du PIB agricole, ne serait-il pas plus judicieux et plus instructif de se baser sur une évaluation du PIB hors agriculture, afin d’éliminer l’impact des aléas climatiques et de mesurer la réelle résilience de l’économie marocaine ?
Notre évaluation de la performance et de la résilience de l’économie marocaine se fonde sur toutes les informations disponibles, y compris une batterie complète d’indicateurs relatifs à l’évolution de l’activité dans les secteurs agricole et non agricoles. Nous publions ainsi dans tous nos rapports, en plus du PIB global, nos projections pour le PIB agricole et non-agricole.
Concernant nos projections, nous avons effectivement révisé nos prévisions de croissance à la baisse en 2016, et ce pour plusieurs raisons, dont l’impact de la sècheresse sur le PIB agricole, ainsi que pour tenir compte des indicateurs conjoncturels relatifs à l’activité du secteur non-agricole. Cela étant, nous avons aussi révisé nos prévisions à la hausse dans le passé lorsque les circonstances le justifiaient, comme par exemple en 2015 pour tenir compte d’une excellente récolte céréalière
Enfin, tout en reconnaissant que les aléas climatiques ont un impact toujours significatif sur l’économie marocaine, il convient de noter que les efforts continus de modernisation du système productif agricole tendent à réduire cet impact et donc que la croissance économique marocaine est moins instable que par le passé. Un enjeu plus fondamental pour les prochaines années est de relever de manière durable le niveau de croissance non agricole. Ceci dépendra de la conjoncture économique internationale, mais aussi et surtout des progrès dans la mise en oeuvre des reformes structurelles mentionnées précédemment.
L’économie marocaine est en phase d’externalisation, essentiellement vers l’Afrique subsaharienne. Les banques en sont l’un des fers de lance. Quelles peuvent être pour elles les conséquences et les dangers de cette démarche ?
L’économie marocaine continue de se diversifier, notamment au plan extérieur. Le développement des nouveaux métiers mondiaux et la diversification des pays partenaires du Maroc, pas seulement d’ailleurs en direction de l’Afrique, ont un impact bénéfique sur les performances économiques. En effet, ils permettent à l’économie d’être moins tributaire des risques liés à la conjoncture dans un petit nombre de pays ou de secteurs exportateurs.
Les banques sont parties prenantes de l’ouverture extérieure et de la diversification croissantes de l’économie marocaine. Bien capitalisées et bénéficiant de financements stables, elles étendent leurs opérations à l’international et tirent parti de la position géographique privilégiée du Maroc, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du monde arabe. Cette diversification soulève à la fois de nouvelles opportunités et de nouveaux risques pour le secteur, en particulier concernant la nécessaire supervision de ces activités transfrontalières et des nouveaux canaux de transmission de risques entre pays. Les autorités marocaines sont conscientes de ces enjeux et déploient des efforts constants pour renforcer la qualité de la supervision bancaire et de la coopération avec les autorités des pays hôtes, ainsi que pour améliorer les mécanismes de résolution des crises.
La libéralisation des changes est dans l’air et on envisage la prochaine étape d’un relatif et maîtrisé flottement du Dirham pour le second semestre de 2017. Croyez-vous que l’appareil économique national soit assez fort et préparé pour une telle ouverture progressive vers la libre convertibilité du Dirham ? Quels sont les pré-requis d’une réussite assurée pour une ouverture des changes définitive du Maroc ?
L’assouplissement du régime de change est une nouvelle étape dans le processus d’intégration de l’économie marocaine dans l’économie mondiale. Il permettra de mieux protéger l‘économie contre les chocs extérieurs (par exemple une hausse rapide du prix du pétrole), et de préserver la compétitivité des produits marocains. Au plan interne, il fournira également un degré de liberté supplémentaire dans la mise en oeuvre de la politique monétaire et du pilotage de l’économie marocaine. Au total, il bénéficiera ainsi à la croissance à long terme et la création d’emplois.
Nos analyses montrent que l‘économie marocaine est aujourd’hui dans une position de force pour mener cette reforme avec succès. Les équilibres macro-économiques se sont améliorés, les cadres de politique budgétaire et financière sont renforces, la parité du dirham est proche de son niveau d’équilibre estimé, et les expositions au risque de change dans les différents secteurs de l’économie marocaine ne sont pas excessives. En outre, les préparatifs de la réforme au plan opérationnel ont été menés a bien par les autorités marocaines, avec l’appui technique du FMI. Les autorités ont donc maintenant les moyens d’engager une transition graduelle et ordonnée.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli