
Décidément, « la critique est aisée mais l’art est difficile ». Alors que la saison des Festivals culturels bat son plein, après deux longues années au chômage technique, et qu’enfin les Marocains sortent de chez eux pour autre chose que travailler et se nourrir, voilà que cela ne plait pas à certains. Les « punchliners » des réseaux sociaux ont vite fait de trouver la bonne formulation pour décrier des organisateurs élitistes, des spectateurs bobos et des tickets trop chers. Sans s’attarder sur les attaques ad hominem, sous couvert bien sûr d’anonymat, et les amalgames sur les origines fassi des uns ou des autres, force est de constater qu’une fois de plus, la fracture sociale semble se renforcer, alimentée entre autres par la démagogie et l’hypocrisie sociale dont savent parfaitement faire preuve les Marocains.
Ainsi, les riches brigands, dont la richesse ne peut être qu’illégitime et qui ne peut être que la conséquence d’une spoliation du peuple marocain, sont face aux pauvres, victimes de la « hogra » des puissants. Les intellectuels qui ont la science infuse et qui bien qu’ils profitent exclusivement du système, le dénoncent, sans proposer d’alternatives à part leur cynisme teinté d’humour noir. La bien-pensance n’épargne personne et tous ceux qui s’opposent à ces arguments ou qui veulent simplement en débattre, sont qualifiés de « collabos », complices du système.
Pourtant, de très nombreuses nuances et contre-exemples méritent d’être apportés. La première nuance est que ceux qui critiquent l’élite bourgeoise sur les réseaux sociaux, de Twitter à Instagram, en font partie aux yeux de l’écrasante majorité du peuple marocain. Ce n’est pas parce qu’un festival en particulier leur parait un peu moins accessible financièrement qu’ils sont dans la même situation que tous ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Autre écueil sur lequel s’écrase cette fausse prétention à l’égalité, la culture coûte cher. Un artiste international ne se déplace pas sans cachet, l’organisation nécessite des fonds et les opérateurs culturels surtout, ne sont pas censés être des bons samaritains, ni remplacer l’État dans sa mission culturelle. D’autant que lorsque des Festivals comme Mawazine, qui permettent à des millions de Marocains d’accéder gratuitement à des concerts de premier plan international, sont organisés à grand renfort de sponsors privés, les critiques dénoncent le coût trop élevé de la culture face aux grands chantiers jugés prioritaires pour le pays.
En réalité, le secteur événementiel est pourvoyeur d’emplois, souvent peu stables, qui dépendent ardemment de ces événements culturels, qu’ils soient destinés aux riches ou aux pauvres. Les Festivals sont nombreux au Maroc et couvrent une diversité culturelle incroyablement riche qui touche tous les Marocains sans exception, et il n’est pas interdit de préférer la musique gnaoua habituée des grandes scènes populaires à l’électro qui réunit des happy few. Les moussems ou les festivals populaires n’ont pas moins de valeur culturelle parce que leurs spectateurs ne sont pas les plus riches.
Si la question de fond est l’accès de tous à la culture, ce n’est pas sur les Festivals, événements épisodiques qu’il faut focaliser l’attention, mais bel et bien sur les moyens et les efforts fournis pour que le plus grand nombre accède toute l’année à la culture. La création de centres culturels, de conservatoires de musique, d’écoles de danse et d’expression théâtrale, qui permettent aux Marocains de vivre et de produire de la culture, la formation et la rémunération des encadrants et des professeurs, la valorisation de la production culturelle, le versement des droits des auteurs, la création des musées, le statut des intermittents du spectacle, voilà où le bât blesse encore. Les chantiers culturels ne manquent pas, alors de grâce ne cherchons pas des poux dans la tête d’un chauve.
Zouhair Yata